Sur la base de la question pertinente posée par notre frère internaute Mr Massaer Nguer– parmi nos followers les plus actifs – à propos du New Deal technologique du Sénégal, voici quelques éléments de réflexion et de proposition.
L’appellation même du programme est inspirante. La conception autour de 4 axes stratégiques est pertinente, notamment grâce à l’implication des secteurs impactés et aux stratégies mises en place pour une centralisation des services. Cela permet un suivi réel et à temps du déploiement.
Un autre aspect tout aussi intéressant est la déclinaison sectorielle de l’économie numérique, qui permet d’agir à plusieurs niveaux pour un résultat à fort impact.
Le Sénégal, comme plusieurs pays africains, est réputé pour la qualité de ses notes conceptuelles. D’ailleurs, le pays est souvent sollicité pour l’écriture de projets au niveau régional et continental.
Cependant, la matérialisation de ces projets pose problème. C’est pourquoi nous nous intéressons aujourd’hui aux actes posés concrètement par le gouvernement, au-delà des discours du SEM le Président Bassirou Diomaye Faye et de son ministre M. Alioune Sall.
À ce titre, nous allons analyser les stratégies mises en œuvre et y apporter notre contribution à trois niveaux :
• le secteur privé,
• le secteur public,
• une comparaison continentale et internationale.
Secteur privé : un dynamisme en marche, mais inégal selon les filières
Le digital est très prisé dans le secteur privé. Le marché est dynamique, avec des entreprises qui ont réussi à transformer leur écosystème : mobile money, applications de transport, commerce en ligne, etc.
Mais certains secteurs comme l’agriculture, l’artisanat et même la médecine restent peu digitalisés.
Un exemple concret à citer est la mise en œuvre du ticket électronique entre la société Wave (département finance digitale) et la SENTER/SETER. Aujourd’hui, la quasi-totalité des services urbains disposent d’une version électronique, ce qui est une révolution pour un pays confronté à des défis de priorités urgentes, notamment en matière d’éducation et de formation.
Pouvoir public : la dématérialisation reste en chantier malgré la bonne volonté affichée, la dématérialisation de l’administration tarde à prendre son envol. Le e-Gov peine à se généraliser pour optimiser les services proposés au public. L’interconnexion des services – état civil, agences, directions, ministères – reste incomplète.
Dans les sphères modernes, le suivi des projets et programmes repose sur la mesure d’indicateurs clés de performance (KPI), intégrés dans des outils de business intelligence pour gagner en efficience.
Un exemple frappant : le retrait récent des licences 5G d’Expresso Sénégal et de YAS Sénégal. Cet acte est en contradiction avec la volonté clairement exprimée du Chef de l’État. Il nécessite une information et une communication transparentes pour rassurer l’opinion publique, les investisseurs et les acteurs du secteur.
À l’échelle continentale et internationale
Le Sénégal accuse un retard par rapport à des pays comme l’île Maurice, l’Afrique du Sud, le Rwanda, l’Égypte, la Côte d’Ivoire et le Nigeria, en matière de haut débit, cybersécurité, cloud, 5G et big data.
Ces sujets ne doivent plus être des slogans, mais des programmes opérationnels assortis de délais et de résultats concrets. Le gouvernement tout entier doit s’en emparer comme une priorité nationale stratégique.
États-Unis – CHIPS and Science Act
CHIPS = Creating Helpful Incentives to Produce Semiconductors
Loi adoptée en 2022 avec pour objectifs :
• de relocaliser la production de semi-conducteurs,
• stimuler l’innovation scientifique,
• créer des emplois stratégiques.
Budget :
• 52,7 milliards USD pour la production de puces
• 170 milliards USD pour la recherche scientifique (IA, cybersécurité, biotechnologies…)
Union européenne – Digital Decade & CHIPS Act EU
L’UE, via sa “Digital Decade 2030”, s’est donnée des objectifs clairs :
• 80 % des citoyens avec des compétences numériques de base
• Couverture 5G totale
• 100 % des services publics essentiels disponibles en ligne.
Et via le CHIPS Act EU, elle consacre 43 milliards d’euros pour développer une industrie européenne des semi-conducteurs, avec un mécanisme basé sur :
• le cofinancement public/privé,
• la R&D avancée,
• et la création de capacités de production souveraines.
Proposition : vers un New Deal technologique sénégalais structurant:
Face à ces constats, la révolution numérique au Sénégal ne saurait être simplement une initiative nationale isolée. Elle devrait être intégrée dans une dynamique sous-régionale, en lien avec la CEDEAO, en s’appuyant sur des lois d’application, et non seulement sur des intentions politiques ou des régulations générales.
Le taux de connectivité en Afrique avoisine à peine les 50 %, ce qui limite drastiquement la compétitivité numérique du continent. Les investissements étant colossaux, il faut adopter une approche holistique, intégrée à tous les secteurs porteurs (éducation, industrie, finance, agriculture…).
2. Une stratégie d’investissement ambitieuse sur 10 ans.
Le New Deal technologique du Sénégal doit s’appuyer sur un plan d’investissement massif, structuré sur 10 ans, avec une répartition équitable pour la jeunesse, les entreprises innovantes, et les services publics.
Budget global proposé : 1 000 milliards FCFA sur 10 ans
Volet
Budget estimé
Objectif concret
1) Jeunes & innovation citoyenne
100 milliards (sur 10 ans)
Financer 100 projets innovants portés par des jeunes à hauteur de 1 milliard chacun. Chaque projet devant créer au minimum 10 emplois directs.
2) Entreprises technologiques
500 milliards
Identifier et soutenir les 100 meilleures entreprises sénégalaises championnes de l’innovation, à raison de 5 milliards par structure. Objectif : créer 100 000 emplois directs.
3) Modernisation des services publics
400 milliards
Résultats attendus :
• 200 000 emplois directs et indirects
• Hausse du revenu moyen par citoyen connecté
• Meilleure attractivité des grands groupes tech (Amazon, Spotify, Deezer…) pour l’Afrique
• Mise en place d’un écosystème de monétisation équitable des contenus africains
Les atouts structurels de l’Afrique
• Une jeunesse connectée, créative, et disponible
• Un potentiel de croissance numérique encore sous-exploité
• Une diaspora compétente et prête à investir
• Une énergie entrepreneuriale en forte progression
Conclusion
Le New Deal technologique du Sénégal doit devenir un pacte d’action structuré, fondé sur :
• une volonté politique stable,
• des moyens financiers concrets,
• un cadre légal applicable,
• une mobilisation nationale et diasporique.
C’est une opportunité unique de faire du Sénégal un leader africain de la souveraineté numérique, créateur d’emplois, d’innovation et de justice sociale à l’ère du digital.
Mouhamed Sambou
Président du GMr