Le dimanche 5 octobre 2025, la Mairie de Dakar-Plateau annonce la décolonisation des noms d’édifices publics dans la capitale, notamment par la redénomination des rues. Une décision qui constitue un acte à la fois symbolique et profondément politique. À Dakar-Plateau, la rue Jules Ferry (1832-1893) a été rebaptisée rue Serigne Mounetakha Mbacké, en hommage au Khalife général des Mourides, tandis que la rue Félix Faure (1841-1899) est devenue rue Serigne Mansour Babacar Sy, Khalife général des Tidianes. De même, la rue Ferdinand Foch (1851- 1929) officier colonial, porte désormais le nom de Jean Alfred Diallo (1911-2006), chef d’état-major des forces armées sénégalaises, fondateur de l’Armée nationale et bâtisseur de la Nation, qui a fixé les frontières, consolidé l’indépendance et la souveraineté du Sénégal à travers l'intervention en Gambie en 198, de la crise sénégalo-mauritanienne 1989-1991, la crise casamançais, l'opération Gabou 1998-99 en Guinée-Bissau et aux opérations extérieures.
Ces héros, souvent méconnus du grand public, méritent que leurs noms figurent sur nos rues et nos bâtiments pour honorer leur courage et leur sacrifice. Ces figures religieux incarnent la sagesse, l’autorité morale et l’exemple éthique. Leur engagement a contribué à préserver la paix sociale au Sénégal, de 1960 à nos jours, malgré les divergences des acteurs politiques. Rebaptiser les édifices publics s’inscrit ainsi dans une politique de rupture avec le passé colonial et de renforcement de la souveraineté nationale, tout en rendant hommage aux ancêtres victimes de l’oppression française assassinés, réduits au silence ou marginalisés par la force.
Mais qui était Jules Ferry ? Comme d’autres figures coloniales telles que William Ponty, Charles de Gaulle, Louis Faidherbe, Félix Faure, Félix Éboué, Joseph Gallieni, De Lattre de Tassigny ou Philippe Leclerc de Hauteclocque, Ferry fut un ardent défenseur de l’expansion coloniale. Sa vision reposait sur des arguments économiques, politiques et une prétendue mission « civilisatrice », teintée de ra@cisme assumé. Dans son discours du 28 juillet 1885, il proclamait que « Les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures… elles ont le devoir de les civiliser. » Ces propos illustrent à eux seuls l’idéologie coloniale qui a marqué et meurtri l’histoire africaine.
En plus, la décolonisation des noms d’édifices publics au Sénégal revêt une importance majeure sur les plans historique, culturel et identitaire. De nombreux lieux comme les rues, les écoles et les bâtiments publics surtout dans des villes comme Dakar, Thiès et Saint-Louis, portent encore les noms de figures coloniales, rappelant une époque de domination et d’humiliation. Remplacer ces noms par ceux de héros nationaux comme Cheikh Anta Diop, Lat Dior, Mamadou Lamine Dramé Damba Waar Sall, Thierno Souleymane Baal, Boursine Coumba Ndoffène Diouf, Alboury Ndiaye, Général Idrissa Fall ou Aline Sitoé Diatta, permet non seulement d’affirmer la souveraineté culturelle du pays, mais aussi de valoriser son patrimoine historique. C’est également un moyen de renforcer la fierté nationale et de transmettre aux jeunes générations par le biais de l'éducation et la formation civique des valeurs de courage, de résistance et de dignité. Ce geste de mémoire et de justice contribue à bâtir une société plus unie, consciente de son identité africaine.
D'ailleurs, on ne trouve ni aux États-Unis de rues honorant des colons britanniques, ni en Algérie ou au Vietnam de rues glorifiant les colonisateurs français, ni en Europe d’avenues célébrant les agresseurs allemands de la Seconde Guerre mondiale. C’est en Afrique que persiste encore, de manière paradoxale, cette exaltation symbolique de l’idéologie coloniale, parfois même renforcée dans les manuels scolaires en 2025.
Le moment est venu de déconstruire ce passé imposé par la force et légitimé par une idéologie de domination héritée de l’Europe coloniale. Rebaptiser rues, écoles et institutions au nom des résistants et des penseurs africains constitue un acte essentiel de souveraineté, de mémoire et de justice. C’est une étape incontournable pour honorer les ancêtres, transmettre l’histoire véritable aux générations futures et consolider l’identité africaine dans toute sa dignité.
Maodo Ba Doba
Historien militaire contemporain,
Professeur en Études stratégiques de défense et politiques de sécurité.