Dans un monde en constante mutation, où les mobilités humaines redessinent les frontières du savoir et de l’innovation, la diaspora sénégalaise occupe une place singulière. Porteuse de compétences, d’expériences et d’ambitions, elle représente un levier majeur pour le développement du Sénégal. C’est dans cette perspective qu’est née Diaspora Connect, une association fondée en France, avec pour mission de valoriser le capital humain de la diaspora et de le mettre en relation avec les acteurs du développement au pays.
Pouvez-vous nous présenter en quelques mots l’association Diaspora Connect et ses principales missions ?
Diaspora Connect est une association de loi 1901 créée en France par des Sénégalais. C’est avant tout une plateforme qui vise à valoriser les expertises de la diaspora sénégalaise, en créant des passerelles entre celles et ceux qui vivent à l’étranger et les acteurs du développement au Sénégal.
Notre ambition est simple : connecter davantage le capital humain de la diaspora avec le Sénégal. Mettre les compétences et les savoir-faire des Sénégalais, où qu’ils se trouvent dans le monde, au service du pays. Cela peut passer par l’entrepreneuriat, le transfert de compétences, la recherche, ou encore l’innovation, bien au-delà des seuls transferts financiers.
Diaspora Connect est née d’un constat : la diaspora africaine, et sénégalaise en particulier, est souvent citée pour l’importance de ses envois d’argent, qui représentent une part significative du PIB. Mais elle est bien plus que cela. Ce sont aussi des femmes et des hommes riches de talents et de connaissances, capables de contribuer directement à l’émergence du Sénégal et de l’Afrique.
C’est pourquoi nous travaillons à mettre en avant ce volet essentiel : le capital humain diasporique, véritable moteur de développement, sur lequel Diaspora Connect souhaite bâtir son action.
Quelles sont les motivations qui vous ont poussé à organiser la Journée de l’Expertise Sénégalaise de la Diaspora à Rennes cette année ?
Nous organisons effectivement à Rennes, le 15 novembre 2025, la Journée de l’Expertise de la Diaspora sénégalaise. Le thème choisi est : “Le capital humain diasporique et souveraineté endogène : vers un nouveau pacte pour le développement du Sénégal.”
Diaspora Connect, qui porte cette initiative, a été créée à Rennes. Mais le choix de cette ville ne tient pas seulement à cette domiciliation. Rennes, et la Bretagne plus largement, est une région dynamique, avec une forte communauté sénégalaise et un tissu universitaire riche et diversifié.
Nous voulons en faire un lieu de rencontre privilégié entre les talents de la diaspora, principalement installés dans l’Ouest de la France, mais aussi bien au-delà, et les besoins du Sénégal.
Le choix de Rennes pour cette première édition n’est donc pas un hasard. Et notre ambition est claire : porter Diaspora Connect au-delà de Rennes, organiser d’autres éditions dans d’autres villes, dans d’autres pays, et pourquoi pas sur d’autres continents.
Pourquoi avoir choisi le thème : « Le capital humain diasporique et souveraineté endogène : vers un nouveau pacte pour le développement du Sénégal » ?
On réduit souvent la diaspora sénégalaise à ses transferts d’argent. C’est vrai, ils sont essentiels : ils soutiennent les familles, réduisent la pauvreté et dynamisent l’économie locale. Mais la diaspora, ce n’est pas seulement des fonds.
C’est surtout un capital humain immense. Des femmes et des hommes hautement qualifiés, présents dans tous les secteurs stratégiques, et qui pourraient contribuer directement au développement du Sénégal.
Avec Diaspora Connect, nous voulons changer de regard : passer du simple transfert d’argent au transfert de compétences, de savoir-faire et d’innovation. Car le vrai défi aujourd’hui, c’est de valoriser ce capital humain. C’est lui qui peut porter un développement endogène, souverain et durable pour le Sénégal.
Qu’attendez-vous concrètement des conférences et tables rondes prévues lors de cet événement ?
De cette journée, nous attendons d’abord une prise de conscience. Une prise de conscience des pouvoirs publics, mais aussi de la diaspora elle-même, sur le potentiel immense que représente notre capital humain et l’impact qu’il peut avoir sur le développement de nos pays.
Le 15 novembre sera avant tout une journée de réflexion. À travers un programme riche, nous allons explorer les opportunités et les défis liés à la mobilisation des expertises et des savoir-faire de la diaspora au service du Sénégal et de l’Afrique en général.
Notre ambition est claire : identifier ce potentiel, analyser les obstacles, et formuler des recommandations concrètes. Ces propositions seront regroupées dans un livre blanc, destiné aux pouvoirs publics, mais aussi à l’ensemble des Sénégalaises et Sénégalais, notamment ceux de la diaspora.
Quels sont, selon vous, les principaux apports de la diaspora sénégalaise en termes de savoir-faire et d’innovation pour le Sénégal ?
Contrairement aux transferts de fonds, largement étudiés et suivis chaque année, il existe encore très peu de travaux sur les transferts de compétences de la diaspora. Pourtant, le potentiel est immense.
De nombreux Sénégalais de la diaspora ont été formés dans de prestigieuses écoles et occupent aujourd’hui des postes stratégiques dans des secteurs clés : énergie, agriculture, transformation des matières premières, santé, numérique… La liste est longue. La diaspora est donc un véritable vivier de savoir-faire et d’expertise de pointe, qui pourrait être mis au service du Sénégal.
Le Premier ministre Ousmane Sonko l’a d’ailleurs rappelé récemment lors de son déplacement en Chine : le gouvernement souhaite mieux recenser les compétences des Sénégalais de la diaspora. C’est une démarche que nous soutenons pleinement. D’ailleurs, la création d’une base de données des expertises et des compétences fait partie des projets que Diaspora Connect est déjà en train de structurer.
Quels partenaires institutionnels ou associatifs vous accompagnent dans l’organisation de cette journée ?
Dans le cadre de l’organisation de cette Journée de l’Expertise, Diaspora Connect travaille en étroite collaboration avec plusieurs partenaires clés.
D’abord avec le média Diaspora Actu, très présent au sein de la diaspora grâce à son réseau de correspondants. Je remercie d’ailleurs Malick, qui nous reçoit aujourd’hui et qui est l’un des fondateurs. Diaspora Actu s’implique activement dans l’organisation de cette journée.
Nous collaborons également avec l’Association des Sénégalais de Rennes, l’ARSER, dont l’actuel président fait partie du comité organisateur.
Un autre partenaire important est l’association Doct’Senegal, qui regroupe de nombreux jeunes chercheurs du Sénégal et de la diaspora. C’est un véritable vivier d’expertises, déjà engagé sur la question de l’impact de la recherche pour le développement. Leur slogan résume bien leur démarche : “La recherche au service du développement.”
Par ailleurs, nous sommes en discussion avec plusieurs structures institutionnelles. Nous serons bientôt reçus par Son Excellence Monsieur Baye Moctar Diop, ambassadeur du Sénégal en France. D’autres partenaires sont également en cours de finalisation, que nous annoncerons prochainement.
Enfin, nous prévoyons d’adresser très bientôt des correspondances officielles aux autorités sénégalaises – la Primature, la Présidence, ainsi qu’à d’autres institutions pertinentes – afin de garantir un accompagnement fort pour cette journée.
À travers Diaspora Connect, envisagez-vous de mettre en place des programmes pérennes après l’événement, pour renforcer les liens entre diaspora et Sénégal ?
Effectivement, notre ambition est de pérenniser Diaspora Connect. C’est d’ailleurs pour cela que nous l’avons structurée sous forme d’association, avec un bureau et des membres.
La Journée de l’Expertise à Rennes est une première étape. Nous en ferons une restitution sous forme d’un livre blanc qui sera largement diffusé. Mais l’idée est d’aller plus loin : d’autres journées suivront, en France, au Sénégal et ailleurs dans le monde. Certaines rencontres seront physiques, d’autres en ligne, pour continuer à réfléchir ensemble sur le rôle que peut et doit jouer la diaspora dans le développement du pays.
Nous travaillons aussi sur un projet structurant : la création d’une base de données sécurisée des expertises sénégalaises de la diaspora. Elle sera accessible via un site web, permettant aux institutions, aux pouvoirs publics ou aux entreprises de trouver facilement des profils qualifiés, et même de publier des offres d’emploi ou des appels à candidatures. Les Sénégalais de la diaspora pourront ainsi valoriser leurs compétences et saisir ces opportunités.
Donc pour répondre clairement : oui, Diaspora Connect a vocation à durer, à grandir, et à devenir un véritable catalyseur pour la valorisation du capital humain de la diaspora au service du développement du Sénégal.
Comment évaluez-vous aujourd’hui la contribution de la diaspora sénégalaise au développement économique et social du pays ?
L’apport de la diaspora sénégalaise au développement du pays est déjà considérable.
Sur le plan économique, les transferts d’argent jouent un rôle majeur : ils réduisent la pauvreté et améliorent concrètement les conditions de vie de nombreuses familles, y compris dans les zones les plus reculées. Ces fonds pourraient toutefois être mieux structurés et orientés vers le financement de projets productifs, notamment dans l’agriculture, l’industrie ou encore les services. On pourrait même imaginer des mécanismes comme une banque d’épargne de la diaspora pour accroître leur impact.
Mais la diaspora, ce n’est pas seulement une contribution financière. C’est aussi un vivier de projets entrepreneuriaux, de création d’emplois, d’innovations, et surtout de transfert de compétences et de savoir-faire. Chez Diaspora Connect, nous sommes convaincus que ce potentiel est encore sous-exploité et mérite d’être davantage mobilisé pour le développement du Sénégal.
On parle souvent de fuite des cerveaux quand des talents s’installent à l’étranger. C’est une réalité, mais il faut aussi voir l’autre face : grâce à la mondialisation, ces compétences peuvent circuler et être mises au service du pays, même à distance. L’enjeu aujourd’hui n’est donc pas seulement de déplorer les départs, mais de créer les conditions pour que l’expertise de la diaspora profite pleinement au Sénégal.
Quels sont, selon vous, les principaux obstacles qui freinent encore l’implication de la diaspora dans le développement du Sénégal ?
Comme je viens de la dire, la diaspora contribue déjà de façon significative au développement du Sénégal, que ce soit à travers les transferts de fonds ou encore par l’appui direct aux familles, qui relance la consommation et soutient l’économie locale. Mais quand il s’agit de mobiliser davantage les compétences et de transformer ce potentiel en entreprises, en emplois et en valeur ajoutée, plusieurs obstacles subsistent.
D’abord, il y a des freins humains et personnels : sauter le pas de l’investissement ou du retour n’est jamais évident. C’est aussi pour cela que nous organiserons, le 15 novembre, des témoignages de parcours inspirants, pour donner confiance et montrer que c’est possible.
Ensuite, il existe des freins institutionnels : une vision encore insuffisamment claire et ambitieuse du rôle que peut jouer la diaspora, un manque de dispositifs incitatifs et d’accompagnement, notamment dans les secteurs clés comme l’agriculture, l’industrie ou encore le numérique. Pourtant, ce sont des domaines où la diaspora sénégalaise regorge de talents et de projets de pointe.
Nous pensons que l’État et les institutions doivent mettre en place des mécanismes plus structurés pour faciliter l’investissement, sécuriser les initiatives et encourager l’innovation. Car, le répéte, la diaspora est un vivier de compétences qui peut fortement contribuer à la création de valeur et d’emplois au Sénégal.
Comment Diaspora Connect peut-elle faciliter la valorisation des expertises des Sénégalais établis à l’étranger ?
La première étape pour valoriser les expertises de la diaspora, c’est de les rendre visibles. Trop souvent, ces compétences existent mais restent méconnues des décideurs, des entreprises ou des porteurs de projets. Nous voulons à notre niveau offrir une véritable vitrine à ce capital humain sénégalais présent partout dans le monde.
Cela veut dire mettre en relation les talents de la diaspora avec les besoins du Sénégal : à travers des projets entrepreneuriaux, le transfert de compétences, le mentorat ou encore l’innovation.
Diaspora Connect veut être ce trait d’union entre la richesse de la diaspora et les opportunités de développement au Sénégal.
Quelles opportunités spécifiques voyez-vous pour la diaspora sénégalaise en Europe, notamment en France, pour contribuer davantage au Sénégal ?
La diaspora sénégalaise en Europe, et en particulier en France, dispose d’énormes opportunités pour contribuer davantage au développement du pays.
D’abord sur le plan économique : à travers des projets entrepreneuriaux, des start-up innovantes et la création d’emplois, mais aussi par la transformation et la valorisation des ressources agricoles, l’agroalimentaire, la santé le numérique ou encore de nouvelles pratiques agricoles. Chaque expertise acquise ici peut devenir une solution concrète pour améliorer les conditions de vie des Sénégalais.
Ensuite, il y a la dimension financière : l’épargne, les mécanismes comme les diaspora bonds, ou encore des fonds collectifs qui pourraient financer des projets structurants et alléger la dette publique.
Enfin, il ne faut pas oublier le volet social, déjà très présent, qui peut être renforcé : la solidarité de la diaspora contribue à construire des infrastructures et à soutenir directement les populations.
En résumé, la diaspora a les moyens d’agir à la fois sur le plan économique, social et financier, et de transformer son expérience en Europe en un moteur de développement pour le Sénégal.
Quel message souhaiteriez-vous adresser aux autorités sénégalaises concernant l’intégration de la diaspora dans les stratégies nationales ?
Mon message aux autorités sénégalaises est simple : il n’y a pas deux Sénégal, celui de la diaspora et celui du pays. Il n’y a qu’une seule nation, et chaque Sénégalaise, chaque Sénégalais, où qu’il se trouve, doit pouvoir contribuer directement aux projets de développement.
Concrètement, cela veut dire associer davantage la diaspora dans les stratégies nationales, dans les appels à projets, et créer des dispositifs incitatifs pour faciliter l’investissement, le transfert de compétences et la mise en réseau.
Aujourd’hui, nos gouvernements sollicitent beaucoup d’entreprises étrangères, ce qui est positif, mais pourquoi ne pas adresser le même appel clair à la diaspora ? C’est une force qui combine le capital humain, les savoir-faire, et une volonté d’agir pour le pays.
Nous saluons déjà les initiatives en cours, comme la création de la Journée nationale de la diaspora le 17 décembre, mais il faut aller plus loin : transformer cette reconnaissance symbolique en leviers concrets de création de valeur, d’innovation et d’opportunités.
En résumé, mon message est d’intégrer pleinement la diaspora comme un partenaire stratégique du développement, et non comme un acteur périphérique.
Quel message souhaitez-vous adresser à la diaspora sénégalaise installée en France et ailleurs dans le monde ?
Mon message à la diaspora sénégalaise, en France comme ailleurs dans le monde, c’est d’être plus proactive. Nous avons des savoir-faire, des compétences et des expériences précieuses : il est temps de les mettre en mouvement pour contribuer davantage au développement du Sénégal.
Il faut oser saisir les opportunités qui existent, mais aussi en créer de nouvelles, dans l’entrepreneuriat, la recherche, la culture, le numérique ou encore l’agroalimentaire. Ce que nous faisons ailleurs, nous pouvons aussi le faire pour notre pays.
Nous devons aussi nous organiser davantage, travailler ensemble, mutualiser nos énergies autour de projets concrets de création de valeur, d’emplois et d’amélioration des conditions de vie des Sénégalais.
C’est précisément l’ambition de Diaspora Connect : offrir une plateforme qui met en réseau les compétences, permet aux porteurs de projets de lancer des appels à contribution et de trouver des partenaires dans la diaspora ou au Sénégal pour réaliser ensemble des projets utiles au Sénégal.
En résumé, mon message est simple : ne restons pas spectateurs. Faisons de notre expérience à l’étranger une force collective pour transformer le Sénégal.
Qu’aimeriez-vous que les jeunes générations de Sénégalais retiennent de votre parcours et de votre engagement à travers Diaspora Connect ?
Je souhaiterais que les jeunes générations retiennent que l’engagement et la mobilisation de nos compétences peuvent avoir un impact concret sur le développement de notre pays. À travers Diaspora-Connect, mon objectif a toujours été de montrer que chacun, où qu’il soit, peut contribuer au progrès du Sénégal, que ce soit par l’entrepreneuriat, l’innovation, la recherche ou le partage d’expertise. Plus qu’un simple parcours individuel, c’est un exemple de solidarité et de mise en réseau des talents de la diaspora au service du bien commun.
Enfin, que peut-on attendre de Diaspora Connect dans les prochaines années ?
Dans les années à venir, Diaspora-Connect entend intensifier ses actions en mobilisant davantage le capital humain de la diaspora sénégalaise. Nous voulons créer de nouvelles synergies entre experts, entrepreneurs et chercheurs, organiser des forums et journées d’échanges. L’objectif est de devenir un véritable catalyseur de projets innovants, capables de générer un impact durable sur le développement du pays, tout en offrant aux jeunes talents des opportunités de networking et de formation.
Entretien : Malick Sakho