Entretien avec Abdou Lahat SARR, Directeur du Village by CA Charente-Maritime Deux-Sèvres : "Le rôle de la diaspora est de dépasser les positions idéologiques pour replacer le débat sur des bases économiques et sociales solides"

01 - Octobre - 2025

Dans le cadre de notre série d’entretiens consacrés aux parcours inspirants de la diaspora, nous recevons aujourd’hui Abdou Lahat SARR, un professionnel accompli au parcours riche et varié. Originaire de Khombole, il a su conjuguer excellence académique, carrière bancaire et engagement pour l’innovation. Directeur du Village by CA Charente-Maritime Deux-Sèvres, un accélérateur de startups du Crédit Agricole, il œuvre aujourd’hui à connecter les jeunes pousses aux grands groupes et à bâtir des passerelles entre l’Europe et l’Afrique. Dans cet entretien, il revient sur son parcours, sa vision de l’entrepreneuriat et le rôle crucial de la diaspora sénégalaise dans le développement du pays.

Pouvez-vous nous présenter votre parcours académique et professionnel, notamment votre passage par HEC Paris ?
Je suis originaire de Khombole (mon terroir à qui je fais un clin d’œil pour la belle réussite de son centenaire prévu en décembre 2025).
Après des études primaires à Khombole, j’ai été admis au concours du Prytanée militaire de Saint-Louis où j’ai obtenu mon BAC, avant de rejoindre l’Université Gaston Berger de Saint-Louis en 1992.
J’ai poursuivi mes études en France, d’abord en terminant une maîtrise de langues à l’Université de Bordeaux, puis en DEA en communication des entreprises et des organisations.
La logique voulait que je poursuive vers un PhD, mais ma situation de l’époque m’a amené à choisir entre continuer en 3e cycle ou entrer dans le marché de l’emploi. Le choix était évident : intégrer une école de commerce qui me permettrait d’accélérer ce projet.
J’ai donc intégré l’INSEEC (Institut des hautes études économiques et commerciales) de Bordeaux où j’ai obtenu un Master 2 en Marketing et stratégie commerciale.
Après l’INSEEC, j’ai tout de suite été recruté par le Groupe Crédit Agricole, où j’ai exercé les métiers de chargé de clientèle avec des portefeuilles en gestion, avant d’accéder à des fonctions variées de responsabilité : responsable de l’animation commerciale, management d’équipes, directeur de plusieurs agences et pilotage de projets de transformation.
Par la suite, j’ai eu l’opportunité de suivre un programme à HEC Paris pour une certification en Sustainable Transition Management, qui m’a apporté une ouverture stratégique et un regard plus global sur le management de la transition.
Aujourd’hui, je dirige le Village by CA Charente-Maritime Deux-Sèvres, une filiale du Crédit Agricole Charente-Maritime et Deux-Sèvres, un accélérateur de startups. Ce parcours illustre l’importance de la formation continue et de la capacité à évoluer dans des environnements nouveaux.

En tant que responsable du Village by CA Charente-Maritime Deux-Sèvres, quelles sont vos missions principales au quotidien ?
Ma mission est d’accompagner les startups dans leur croissance et de connecter les entreprises traditionnelles à l’innovation. Concrètement, cela signifie : créer des synergies entre grands groupes et jeunes pousses, faciliter l’accès au financement, ouvrir des marchés et animer un écosystème entrepreneurial dynamique au service du territoire.

Comment accompagnez-vous les startups dans leur développement ?
L’accompagnement est global :
● Accès au financement via des fonds d’investissement, des banques ou des investisseurs privés ;

● Conseil stratégique sur le business model et le positionnement marché ;

● Structuration managériale pour bâtir des équipes solides ;

● Mise en réseau, car souvent une rencontre peut changer le destin d’une startup.

Mon rôle avec mon équipe est d’offrir aux entrepreneurs un environnement qui leur permet de se concentrer sur leur cœur de métier et d’accélérer leur trajectoire.

Quels sont, selon vous, les plus grands défis pour les jeunes entrepreneurs aujourd’hui en France et en Afrique ?
En France, le défi majeur est l’accès au financement et la capacité à émerger sur un marché déjà très compétitif. Mais de vrais dispositifs d’aide à l’entrepreneuriat existent à travers différentes structures publiques et privées.
En Afrique, les opportunités sont immenses, mais les entrepreneurs doivent faire face à des contraintes liées aux infrastructures, à l’accès au capital et parfois à l’environnement réglementaire.
Dans les deux contextes, un point commun demeure : la nécessité de persévérance et l’importance de s’entourer de partenaires solides. Le modèle des Villages by CA, créé par le Groupe Crédit Agricole, serait un réel atout pour compléter les dispositifs qui existent aujourd’hui.

Comment votre expérience en retail banking, stratégie commerciale et management influence-t-elle votre rôle actuel ?
Mon expérience de banquier pendant plus de 20 ans m’a appris la rigueur, la relation client, une forte expérience managériale et la construction de stratégies commerciales durables. Aujourd’hui, j’utilise ces acquis pour aider les startups à comprendre leurs clients, à structurer leur offre et à croître de manière pérenne. C’est une passerelle naturelle entre le monde bancaire et l’accompagnement entrepreneurial.

Quelles passerelles peuvent être construites entre les startups françaises et les jeunes entrepreneurs sénégalais ?
Plusieurs pistes existent :
● Le mentorat, en permettant à des startups françaises d’accompagner des startups sénégalaises ;

● Le financement croisé, en attirant des investisseurs européens vers des projets africains solides ;

● La coopération technologique, en adaptant des solutions développées en Europe aux réalités locales ;

● L’exportation réciproque, en donnant aux startups africaines un accès à l’Europe, et vice-versa.

C’est en combinant rigueur européenne et agilité africaine que nous ferons émerger des champions.

Selon vous, quels secteurs sont les plus porteurs pour stimuler l’innovation et l’investissement au Sénégal ?
Les secteurs prioritaires sont :
● Agriculture et agritech, pour moderniser et mieux valoriser nos productions ;

● Énergies renouvelables, avec un immense potentiel solaire et éolien ;

● Fintech, pour approfondir l’inclusion financière ;

● Santé et éducation digitales, afin d’améliorer l’accès aux soins et à la formation ;

● Tourisme durable, en valorisant nos richesses culturelles et naturelles.

Ces domaines allient croissance économique et impact social, deux piliers du développement.

Les transferts d’argent constituent une source importante pour l’économie sénégalaise. Quel regard portez-vous sur ce phénomène ?
La diaspora contribue de façon considérable. Ses transferts financiers dépassent chaque année l’aide publique au développement. Mais la véritable valeur ajoutée ne se limite pas à l’argent envoyé : elle réside aussi dans le partage de savoir-faire, l’investissement productif et la création de passerelles entre le Sénégal et le reste du monde.
Nous avons acquis des compétences, des méthodes et des réseaux dans nos parcours à l’étranger. Mobilisés pour le Sénégal, ces atouts peuvent structurer des filières stratégiques, renforcer l’écosystème entrepreneurial et inspirer la jeunesse.
Le Premier ministre Ousmane Sonko a évoqué ce sujet de la contribution de la diaspora à l’effort de développement lors de son passage en Italie. Il a, à mon sens, bien compris la puissance que cela peut représenter au service de la stratégie du gouvernement.
● Selon la BCEAO, les transferts de fonds de la diaspora sénégalaise ont atteint environ 1 842 milliards de FCFA en 2023, contre 1 700 milliards en 2022.

● Ces envois de fonds dépassent désormais l’aide publique au développement (APD) et certains investissements directs étrangers (IDE).

Impacts sur l’économie sénégalaise :
● Soutien à la consommation : couverture des besoins de base (nourriture, scolarité, santé, logement), réduction de la pauvreté.

● Épargne et investissement : immobilier, petites entreprises, projets communautaires.

Il reste cependant une part non négligeable consacrée aux « nguenté » et autres manifestations sans réelle valeur productive. Personnellement, je plaiderais pour que l’État et les organisations encouragent davantage l’investissement productif.
Les transferts de la diaspora sont vitaux. Mais il faut aller plus loin : orienter une partie de ces flux vers des projets structurants pour en faire un véritable levier de développement économique durable.

Avec l’essor du mobile money (Orange Money, Wave, etc.), pensez-vous que le système bancaire traditionnel doit évoluer pour rester compétitif ?
Le mobile money a démocratisé l’accès aux services financiers. Il a répondu à des besoins que les banques traditionnelles n’avaient pas couverts. Aujourd’hui, les banques doivent en tirer les leçons : simplifier leurs services, réduire leurs coûts et adopter pleinement le digital.
La banque et le mobile money ne sont pas concurrents mais complémentaires. Leur collaboration est la clé d’un système financier moderne et inclusif.

Le modèle du microcrédit et du paiement digital peut-il être une solution durable pour l’inclusion financière au Sénégal ?
Le microcrédit digital est une réponse pertinente à l’exclusion financière. Mais il ne peut être durable qu’avec un accompagnement pédagogique. Un crédit n’a de sens que s’il est utilisé comme levier pour entreprendre et investir. Associer microcrédit et formation financière est indispensable pour transformer cette solution en outil de développement.
Il existe déjà de nombreuses initiatives au Sénégal, mais elles gagneraient à intégrer davantage d’innovation pour renforcer leur efficacité.

Le débat sur la sortie du franc CFA anime fortement les esprits. Quelle est votre position personnelle sur cette question ?
Le franc CFA suscite des débats passionnés, car il touche à la souveraineté et à l’identité économique. Il a apporté stabilité monétaire, mais il est aussi perçu comme une contrainte.
La vraie question est : quelle monnaie servira le mieux nos intérêts économiques ? La réponse doit être technique, pragmatique et pensée dans l’intérêt des populations. La monnaie est un outil au service du développement, pas une fin en soi.
Sans entrer dans des considérations politiques, je crois à la souveraineté économique et je pense qu’une monnaie locale serait un bon début.

Quels seraient, selon vous, les avantages et les risques d’une éventuelle transition monétaire pour le Sénégal et la sous-région ?
Je ne suis pas un expert des questions monétaires, mais une nouvelle monnaie offrirait plus de souveraineté et une politique monétaire adaptée à nos réalités.
Elle comporte cependant des risques : instabilité des prix, perte de confiance des investisseurs, inflation. Tout dépendra de la gouvernance. Avec une vision claire, des institutions solides et une discipline budgétaire, cette transition pourrait être une opportunité. Mal préparée, elle deviendrait un danger.

Comment la diaspora pourrait-elle contribuer à un débat serein et constructif autour de ce sujet sensible ?
La diaspora joue un rôle d’apaisement et d’expertise. Ayant accès à des environnements économiques variés, elle peut apporter un regard comparatif et rationnel. Son rôle est de dépasser les positions idéologiques pour replacer le débat sur des bases économiques et sociales solides.

Quelles sont vos ambitions personnelles et professionnelles pour les années à venir ?
Je souhaite continuer à développer des écosystèmes d’innovation et d’entrepreneuriat, en France mais aussi en Afrique. Mon ambition est de contribuer au développement de projets structurants au Sénégal et d’aider les jeunes entrepreneurs à transformer leurs idées en entreprises viables.

Seriez-vous prêt à faire bénéficier le Sénégal de votre expérience et vos compétences ?
Absolument. Je suis un produit de l’école sénégalaise, de Khombole à Gaston Berger, en passant par le Prytanée militaire, bien que j’aie poursuivi mes études en Europe plus tard. Alors oui, je n’hésiterais pas une seconde si j’en avais l’opportunité, car je crois beaucoup au give back. C’est même une conviction profonde.

Quel message souhaitez-vous adresser à la jeunesse sénégalaise et africaine qui rêve d’entreprendre et d’innover ?
Ne tombez pas dans l’endormissement exacerbé par les émissions culturelles dénuées de toute substance intellectuelle et non créatrice de valeur. Formez-vous, entourez-vous et osez entreprendre. Le Sénégal et l’Afrique ont besoin de votre énergie et de votre créativité.

Malick sakho

 

Commentaires
3 commentaires
Auteur : Posté le : 05/10/2025 à 00h06

Merci Rokhaya! Plaisir de te lire

Auteur : Posté le : 01/10/2025 à 17h28

Superbe interview. Mesure et expertise. Des qualités rares de nos jours

Auteur : Posté le : 01/10/2025 à 16h37

Salam, CALS, Ravie de vous lire après tant d’années ( Sanar 2 Geo ) . Je travaille dans le même secteur au Senegal et constate que vous avez bien analysé le contexte dans lequel les PME s’activent pour participer à la croissance économique de leur pays. Très apprécié

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