“Nous ne sommes pas les exilés volontaires, mais les oubliés de la République”.
Monsieur le Président,
Je vous écris depuis l’étranger, depuis ce territoire intangible qu’on appelle la diaspora, qui n’a ni frontière, ni drapeau, mais qui bat au rythme du cœur sénégalais, avec autant d’amour que de douleur.
Nous sommes des millions. Dispersés à travers le monde, nous contribuons à la vitalité du Sénégal à travers nos envois réguliers, notre engagement communautaire, et notre volonté intacte de rester liés à la terre mère. Mais trop souvent, Monsieur le Président, nous avons l’impression que notre pays natal ne sait pas vraiment quoi faire de nous. Nous sommes courtisés au moment des élections, mais ignorés le reste du temps.
Cette lettre est une parole collective. Elle ne juge pas, elle n’insulte pas, mais elle espère. Elle vient de loin, dans tous les sens du terme.
Nos consulats : des lieux de service ou des extensions de partis ?
Ce que nous vivons dans nombre de consulats est indigne. Les consulats devraient être des havres d’écoute, de services et de neutralité. Or, ils ressemblent parfois davantage à des permanences de partis politiques. S’y faire entendre, y déposer un dossier, obtenir un document ou une aide relève parfois du parcours d’obstacle. Et ce parcours est souvent plus fluide si l’on appartient au “bon” bord.
Cette politisation de nos représentations diplomatiques est une blessure. Elle nous divise, nous infantilise, et éloigne l’État de ses citoyens. Nos consulats doivent redevenir des espaces républicains, accessibles à toutes et tous, sans filtre partisan.
Des compatriotes enfermés, tués, abandonnés dans le silence :
Combien de Sénégalais croupissent aujourd’hui dans des prisons à l’étranger, sans que leur consulat ne leur rende visite ? Combien sont morts dans l’indifférence, sans que la République ne s’en émeuve publiquement, sans suivi pour leurs familles ?
La moindre des choses serait de leur garantir une assistance minimale, une présence, un soutien moral et juridique. Mais trop souvent, rien. Ni appel. Ni avocat. Ni dignité. Un silence douloureux que même les familles n’osent plus dénoncer.
Des papiers d’identité qui deviennent un luxe :
Demander un passeport ou une carte d’identité, c’est parfois attendre des mois, se battre pour un rendez-vous, ou être contraint de traverser des frontières pour une simple formalité. Ce qui devrait être un droit devient un luxe. Et chaque retard peut avoir des conséquences dramatiques : perte d’emploi, refus de renouvellement de séjour, difficultés administratives dans le pays d’accueil.
Des billets d’avion plus chers que pour d’autres nations :
À cela s’ajoute une autre réalité cruelle : celle du coût exorbitant des billets d’avion pour rentrer au pays. À dates égales, pour des distances similaires ou moindres, les Sénégalais paient bien plus cher que les citoyens d’autres pays africains. Voyager pour un décès, une naissance, ou même pour voter devient un luxe inaccessible pour bien des familles. Ce déséquilibre tarifaire est injustifiable. Il appelle une régulation, un dialogue avec les compagnies aériennes, une politique nationale sur la mobilité.
Des enfants nés ici, sans papiers de là-bas
Nos enfants, nés en France, en Italie, au Canada ou ailleurs, grandissent entre deux cultures. Mais ils se heurtent souvent à l’absence de reconnaissance administrative de leur nationalité sénégalaise. Faute de papiers, ils deviennent des citoyens sans ancrage, ni ici, ni là-bas. Il est urgent de créer un cadre légal simplifié pour leur permettre d’exister pleinement dans les registres sénégalais.
Des étudiants en galère, sans accompagnement :
Nos étudiants à l’étranger sont le présent du Sénégal dans le monde. Pourtant, ils vivent dans la précarité, souvent isolés, sans bourses, sans aides au logement, sans information. L’orientation est absente, le suivi inexistant. Beaucoup sombrent dans la fatigue psychologique ou l’échec. Un étudiant sénégalais à l’étranger ne devrait jamais avoir à choisir entre manger et payer son inscription.
Les mères seules, piliers invisibles de l’exil:
Elles sont nombreuses, ces femmes qui élèvent seules leurs enfants dans des contextes parfois hostiles, après avoir été abandonnées ou trahies. Elles travaillent dur, cumulent les heures, élèvent des enfants dans un monde qui ne leur appartient pas toujours. Mais elles sont aussi oubliées, invisibles, sans aide ni écoute. Aucune politique spécifique ne les accompagne, aucun soutien moral ou matériel ne leur est proposé. Et pourtant, elles tiennent bon.
Des compétences sénégalaises brillent ailleurs, au service d’autres nations
Médecins en Allemagne, ingénieurs au Canada, chercheurs aux États-Unis, entrepreneurs en France… Les compétences sénégalaises font rayonner leur pays, sans que celui-ci ne les reconnaisse ou ne les mobilise. Pourquoi ne pas créer une base de données des talents sénégalais à l’étranger ? Pourquoi ne pas leur proposer de contribuer à distance au développement national ?
Et si on pensait enfin au retour digne ?
Beaucoup d’entre nous rêvent de rentrer. Mais au-delà de l’attachement sentimental, le retour n’est pas soutenu. Aucun programme structuré ne facilite ce choix. Transfert des droits sociaux, intégration dans le tissu économique local, accès au foncier, fiscalité allégée : tout cela manque. Résultat, beaucoup renoncent. D’autres rentrent sans préparation et sombrent dans l’échec. Une politique nationale du retour n’est pas un luxe : c’est un devoir.
Monsieur le Président, il est encore temps. Voici quelques pistes.
-Neutraliser les consulats, en professionnalisant les recrutements et interdisant les pressions politiques.
-Créer un guichet numérique unique, pour simplifier toutes les démarches administratives des Sénégalais de l’étranger.
-Instaurer un Fonds d’assistance consulaire, pour les cas d’urgence, de décès ou d’incarcération.
-Mettre en place une politique tarifaire solidaire, en négociant avec les compagnies aériennes, notamment pendant les fêtes et les périodes électorales.
-Structurer une politique d’appui aux étudiants sénégalais à l’étranger, avec des bourses, des centres d’orientation et des cellules d’écoute.
-Accompagner les mères célibataires de la diaspora, à travers des programmes sociaux spécifiques et des partenariats avec les associations locales.
-Recenser les compétences sénégalaises à l’étranger, et les intégrer dans les politiques publiques.
-Lancer une loi-cadre sur le retour des migrants, claire, incitative, respectueuse de leur dignité.
En conclusion : la diaspora n’est pas un problème. C’est une solution.
Monsieur le Président,
Vous êtes venu avec des promesses de rupture et de renouveau. C’est le moment d’en donner le ton. La diaspora n’est pas une catégorie marginale. C’est une partie vivante, vibrante, active de notre nation. Elle mérite mieux qu’un vote. Elle mérite une place.
Nous ne demandons ni privilèges ni décorations. Juste de la considération, de la justice, et une réelle volonté de construire ensemble.
Recevez, Monsieur le Président, l’expression de notre attachement profond à la République et de notre espoir intact de voir naître un Sénégal qui n’oublie aucun de ses enfants.
Un Sénégalais de la diaspora,
pour toutes celles et ceux qui, depuis les marges, veillent encore sur le cœur du pays.
Malick Sakho
Un message qui était sous la plume de beaucoup d'entre nous, nous qui sommes de la diaspora et qui vivons des moments dans une incertitude.
Nous sommes une solution pour le Sénégal mais pas un obstacle . Si on faisant une pétition pour recueillir les impressions ce serait désolant . Heureusement que nous continuons à espérer au changement de paradigme pour qu'en fin nous puissions être des acteurs pour le devenir du Sénégal et de nos familles.
Mon cher Malick .
Voila une démarche républicaine qui mérite soutien et attention. Notre pays doit fonctionner avec une stratégie intelligente sans que cela ne greve son budget. Cela est possible !
Il suffit d'une bonne écoute des bonnes personnes .
Tu en fais partie .