Le Premier Ministre Ousmane Sonko en visite au patrimoine historique et culturel à Istanbul : une source d'inspiration pour repenser le tourisme culturel au Sénégal.
En visite officielle en Turquie , le Premier Ministre Ousmane SONKO s’est extasié devant la richesse du patrimoine culturel et historique d’Istanbul, incarné par trois monuments emblématiques: la Mosquée Bleue, la Basilique Sainte-Sophie et le Palais de Topkapi. Ces édifices, véritables joyaux de l’histoire byzantine et ottomane, attirent chaque année des millions de visiteurs du monde entier. En 2024, la Turquie a accueilli plus de 62 millions de touristes, en grande partie attirés par ce tourisme culturel bien mis en valeur.
La Turquie met en avant son passé glorieux pour un levier de développement touristique. En effet, ces monuments ne sont pas de simples vestiges, ils racontent l’histoire de civilisations entières. Sainte-Sophie, basilique byzantine du VIe siècle devenue mosquée ottomane après 1453, puis musée au XXe siècle et à nouveau mosquée en 2020, incarne cette mémoire millénaire. La Mosquée Bleue, édifiée sous le sultan Ahmed Ier au XVIIe siècle, séduit par ses faïences bleues et ses six minarets. Le palais de Topkapi, résidence des sultans ottomans au XVe siècle, reflète la grandeur impériale. Ces lieux ne sont pas seulement visités; ils sont valorisés, entretenus et promus à l’échelle mondiale. Mieux encore, ils sont intégrés dans une stratégie urbaine ambitieuse. La ville Istanbul, autrefois Constantinople, est aujourd’hui une métropole mondiale connectée, avec un aéroport international ultramoderne (le plus grand du monde en capacité avec plus de 200 millions de passagers par an), des infrastructures de transport fluides et un paysage urbain harmonisé.
À l’inverse, le Sénégal peine encore à imposer une véritable destination culturelle internationale. Autrement dit, le potentiel est sous-exploité. Le pays mise principalement sur le tourisme balnéaire, avec des stations comme Saly-Portudal ou Cap Skirring. Bien que le climat et la position géographique en zone ensoleillée soient des atouts, cela ne suffit pas à rendre le secteur touristique compétitif à l’échelle mondiale. Pendant que les pays du pourtour méditerranéen (France, Espagne, Italie, Croatie, Grèce) accueillent plus de 747 millions de visiteurs, et que le bassin caribéen en attire 213 millions, le Sénégal reste en marge, freiné par un manque d’infrastructures, une urbanisation mal maîtrisée, des inondations récurrentes et une faible mise en valeur de son riche patrimoine historique et culturel.
La solution réside dans la réinvention du tourisme sénégalais à travers des pistes concrètes. En effet, l’heure est venue de s’inspirer des modèles émergents, la Chine ou la Turquie, qui ont bâti leur puissance touristique sur la valorisation de leur héritage historique millénaire. Pourquoi ne pas faire du Sénégal une vitrine de l’histoire ouest-africaine ? Cela passe par quelques axes forts qui pourraient être explorés. En commençant par le Pôle urbain Nord, il faut la réhabilitation du patrimoine historique urbain en sauvant par exemple la ville de Saint-Louis, ancienne capitale, dont les bâtiments coloniaux de près de 400 ans s’effondrent peu à peu à l'image de Rufisque, Gorée ou Thiès. La mise en valeur des sites historiques et culturels passe également par une promouvoir l’héritage de Thierno Souleymane Baa, la révolution Torodo de 1776, l'héroisme des femmes de Walo en 1820, la grandeur de l'Empire du Tekrour, berceau la Nation des peuples sénégalais du Ve au XVe siècle. Cela serait faciliter par le développement des musées et circuits dédiés à l’histoire précoloniale et impériale du Sénégal voire de la sous-région (les empires médiévaux du Ghana et Mali). Que dire de l'exploitation des mégalithes du Sine-Saloum comme patrimoine mondial de l'UNESCO depuis 2006?
Le tourisme religieux pourrait être érigé à dimension internationale en modernisant les routes et infrastructures vers Touba, Tivaouane, Kaolack ou Médina-Gounass ou lieu de laisser les villes patauger dans les eaux pendant l'hivernage. Les services adaptés seraient offerts aux pèlerins avec hébergement, sécurité, assainissement et accès facilité. La valorisation des figures historiques et intellectuelles en construisant un mausolée national en l'honneur du professeur Cheikh Anta Diop à Thiéytou constitue un révélateur de la nouvelle volonté de bâtir un tourisme culturel. La création d'un un centre de mémoire afro-diasporique pour renforcer les liens avec les Afro-descendants dont le Professeur à donner au peuple noir son identité longtemps cachée par les marchands d'illusions. Enfin, le volet de la politique de l'écologie urbaine demeure crucial en luttant contre les inondations dans les grandes agglomérations, en interdisant les constructions anarchiques et l'étalement urbain qui dégrade la biodiversité. Le lancement d'une politique ambitieuse de reboisement urbain annoncé par le Ministère de l'Environnement et de la Transition écologique pour créer une ville verte, agréable à vivre est en parfaite adéquation avec la politique d'une destination touristique au Sénégal au diapason du tourisme compétitif.
En somme, le tourisme culturel est plus qu’un secteur économique, c’est un outil de souveraineté, de rayonnement et de cohésion nationale. Le Sénégal ne manque ni d’histoire, ni de diversité, ni de symboles forts. Il manque simplement une vision stratégique à long terme, à l’image de la Vision 2050 du gouvernement, qui pourrait faire des pôles urbains de véritables hubs culturels régionaux. Le moment est venu de bâtir le Sénégal touristique de demain, à la croisée du patrimoine, de la modernité et de la fierté identitaire.
Maodo Ba Doba
Historien militaire contemporain,
Enseignant en géographie urbaine (Aménagement des territoires)
