Dans une ère de recomposition des équilibres géopolitiques, où les pays du Sud redéfinissent les contours de leur souveraineté dans un monde multipolaire, le recours aux diaspora bonds par le Sénégal constitue bien plus qu'un outil financier. C'est un acte symbolique et stratégique qui convoque une réflexion sociologique sur la redéfinition de la souveraineté nationale à l'aune des dynamiques transnationales. Cette approche nous invite à interroger les dispositifs de l’autonomie financière comme instruments de décolonisation économique, mais aussi comme vecteurs d'une nouvelle gouvernance fondée sur la confiance, l'identité partagée et la participation active des communautés diasporiques.
La souveraineté, dans son acception sociologique, n'est pas uniquement juridique ou politique. Elle est aussi la capacité d'une nation à déterminer ses propres choix économiques, à en assumer les conséquences et à les ancrer dans une vision collective de son avenir. Le Sénégal, depuis son accession à l'indépendance, a constamment oscillé entre volonté d'autonomie et nécessité de composer avec des partenaires extérieurs dont les aides, les prêts et les conditionnalités ont parfois façonné ses politiques internes. L'intégration des Sénégalais de l'extérieur dans le financement du développement national constitue donc une rupture avec cette logique : il ne s'agit plus de dépendre de bailleurs extérieurs, mais de faire appel à ceux qui, bien que physiquement éloignés, restent viscéralement attachés au destin de la nation.
Les diaspora bonds s'inscrivent dans cette dynamique. Ils sont à la fois un instrument financier et un lien symbolique. Ils opèrent une transmutation du lien affectif en capital productif, transformant l'amour du pays en investissement. Pour qu'une telle alchimie opère, il faut bien sûr des conditions favorables : un climat de confiance, une gouvernance transparente, des projets clairs et identifiables, ainsi qu'un narratif mobilisateur. Or, tous ces éléments semblent aujourd'hui réunis au Sénégal. La nouvelle équipe dirigeante, qui a fait de la souveraineté un axe fort de sa stratégie, bénéficie d'un capital symbolique considérable auprès de la diaspora, surtout dans un contexte où la jeunesse et les forces vives de l'étranger aspirent à une participation plus directe au devenir du pays.
La sociologie de la souveraineté nationale invite à reconsidérer le rapport entre État et société, entre territoire et diaspora. Elle dépasse la simple prérogative de décider sans contrainte externe ; elle suppose la capacité d'intégrer les ressources humaines, symboliques et financières de la nation étendue. En ce sens, les diaspora bonds sont un outil de gouvernance inclusive, un mécanisme d'élargissement de la base nationale de l'effort collectif. Ce ne sont pas des prêts comme les autres : ce sont des actes de foi économiques posés par des citoyens qui, bien que dispersés, partagent un même horizon d'espérance.
Les arguments en faveur de ce type de financement sont nombreux. D'abord, ils permettent d'accéder à des ressources à coûts relativement faibles. Contrairement aux marchés internationaux, où les taux d'intérêt sont souvent plus élevés du fait du risque-pays, les diaspora bonds peuvent mobiliser des fonds à des conditions plus avantageuses. Ensuite, ils renforcent la stabilité financière du pays en diversifiant les sources de financement et en réduisant la dépendance aux bailleurs internationaux. Enfin, et surtout, ils ravivent un sentiment d'appartenance et de responsabilité partagée entre l’État et ses fils et filles à l'étranger.
Le potentiel est immense. La diaspora sénégalaise, présente dans toutes les régions du monde, est non seulement numérique (plus de deux millions de personnes)…
Dr Moussa Sarr sociologue chercheur en communication publique et anticipateur