Le 3 septembre dernier, la place Tian’anmen à Pékin a été le théâtre d’un immense défilé militaire pour commémorer la victoire contre le Japon. L’événement, d’une ampleur exceptionnelle, allait bien au-delà d’une simple célébration historique, il s’agissait d’un message politique et stratégique adressé au reste du monde, et plus particulièrement aux peuples africains encore marqués par le néocolonialisme.
Une souveraineté « à la chinoise »
À travers cette démonstration de force, la Chine entend rappeler que la souveraineté ne se négocie pas face à l’impérialisme occidental, elle s’impose, au besoin par la puissance militaire. Pékin met en avant un arsenal modernisé: chasseurs furtifs J-20 et J-35, chars ZTZ-99, missiles balistiques intercontinentaux DF-5C, drones et systèmes à énergie dirigée qui sont la preuve de sa capacité à défendre ses intérêts stratégiques et vitaux. Avec plus de 2 millions de soldats, l’Armée populaire de libération se présente comme l’une des forces les plus modernes et redoutables au monde. Ce message s’adresse aussi aux États-Unis, notamment dans le cadre des tensions pour rattacher le Taïwan au continent et des incidents récurrents en mer de Chine méridionale contre le VII flotte américaine dans le Pacifique. La Chine veut signaler sa détermination à protéger ses routes maritimes et son intégrité territoriale.
Pékin, Moscou et Pyongyang: une solidarité commémorative.
Le défilé chinois fait écho à la grande parade militaire organisée le 9 mai 2025 à Moscou par Vladimir Poutine pour commémorer la victoire soviétique sur l’Allemagne nazie. En invitant son homologue russe, Xi Jinping renvoie le geste de Moscou et réaffirme une solidarité stratégique face à l’Occident, accusé de soutenir militairement l’Ukraine. Comme la Russie, la Chine entend montrer qu’elle est capable de rivaliser militairement avec les grandes puissances occidentales. Le défilé militaire est l'occasion de consolider l'alliance entre Pékin, Moscou et Pyongyang marqué par l'invitation du Président de la Corée du Nord,Kim Jong-un.
Réécrire l’histoire de la Seconde Guerre mondiale surtout pour l'Afrique.
Au-delà de la démonstration militaire, Pékin revendique un rôle central dans la mémoire de la Seconde Guerre mondiale. Le récit dominant, hérité de la colonisation et centré sur l’Europe et les États-Unis, occulte souvent les sacrifices chinois. Or la Chine a payé un lourd tribut avec près de 20 millions de morts, en majorité des civils, victimes des massacres perpétrés par l’armée impériale japonaise entre 1937 et 1945. En parallèle, l’Union soviétique a perdu plus de 27 millions de personnes dans sa lutte contre l’Allemagne hitlérienne. Pékin insiste donc sur une vérité historique en montrant que la victoire sur le nazisme et le militarisme japonais n’est pas seulement occidentale, mais aussi largement asiatique et soviétique. La « Journée de la Victoire de la Guerre de Résistance du peuple chinois contre l’agression japonaise » rend hommage aux combattants et aux victimes, tout en inscrivant la Chine parmi les vainqueurs légitimes du fascisme. Il faut souligner aussi que ces deux pays n'appellent pas la guerre de 1939-1935, la Seconde Guerre mondiale, mais la Grande guerre patriotique pour la Russie et la Guerre de Résistance du peuple chinois. En plus, la participation de l'Afrique dans cette guerre est occultée dans les commémorations européennes devant le manque de volonté des dirigeants africains pour honorer la mémoire des sacrifiés. D'ailleurs, quelle nouvelle appellation le Sénégal doit-il adopter par rapport à cette guerre ?
Un modèle pour l’Afrique et le Sud global.
Pour Pékin, cette mémoire s’articule à une vision politique : montrer aux pays africains et aux nations du Sud global une alternative à l’hégémonie occidentale. La Chine rappelle son propre passé de pays colonisé et occupé au XIXᵉ siècle, pour mieux se présenter comme un allié naturel des peuples encore soumis au néocolonialisme. Dans son discours, le Président Xi Jinping met en avant un modèle différent basé sur la souveraineté nationale, le développement sans tutelle étrangère, des partenariats « gagnant-gagnant ». Les défilés militaires et les commémorations historiques servent ainsi à véhiculer l’image d’une Chine capable de défendre ses propres intérêts tout en soutenant ceux de ses partenaires. En Afrique, ce positionnement renforce l’attractivité d’un pays qui combine puissance militaire, réussite économique et discours anti-impérialiste.
Maodo Ba Doba
Historien militaire contemporain.
Professeur en Études stratégiques de défense et politiques de sécurité.