Adama Guèye, auteur du livre « Les Sénégalais d’Italie : Histoire et dynamiques d'un flux migratoire » : "J'ose espèrer que ce livre sera utile pour nous et surtout pour les générations futures"

10 - Mai - 2025

Adama Guèye est un acteur engagé de la diaspora sénégalaise en Italie, président de l’association DI.S.SO (Diaspora Sénégalaise pour le Développement et la Solidarité), créée en 2020. Installé principalement en Toscane, il milite depuis plusieurs années pour une meilleure mobilisation des ressources humaines, financières et intellectuelles de la diaspora en faveur du développement socio-économique durable du Sénégal.
Fort de son expérience personnelle et collective, il vient de publier son premier livre « Les Sénégalais d’Italie : Histoire et dynamiques d'un flux migratoire », un ouvrage écrit en italien, dans lequel il dresse un regard lucide sur l’histoire, les défis, et les perspectives de l’immigration sénégalaise en Italie.
À travers ce livre, Adama Guèye veut déconstruire les préjugés, analyser les causes du retard africain et plaider pour une réorganisation profonde des dynamiques migratoires et associatives.
Nous avons eu le plaisir de le rencontrer pour en savoir plus sur son ouvrage, ses réflexions, et ses propositions.

Monsieur Guèye, votre livre s’ouvre par une question simple mais forte : « Pourquoi ce livre ? » Pouvez-vous nous expliquer ce qui vous a personnellement motivé à l’écrire ?
La publication de ce livre marque la réalisation d'un reve que nous nourrissons depuis un certain nombre d'années.Il s'agit d'apporter notre modeste contribution à une meilleure connaissance de l'immigration sénégalaise en Italie à travers une étude approfondie de ses plus déterminantes causes, ses différentes phases et ses plus marquantes mutations.Il s'agit également de mettre l'accent sur l'apport de ces migrants à l'essor socio-économique de l'Italie leur pays d'accueil et du Sénégal d'où ils sont originaires.
En écrivant ce livre , nous espèrons :
• contribuer à une meilleure compréhension de la présence des Sénégalais en Italie,
• laisser aux futures générations des informations utiles à leurs recherches tout en les invitant à etre fieres et conscientes de leur identité mixte source intarissable de progrès dans un monde qui tend inoxérablement vers l'universalisme culturel.

Dans la partie introductive de votre ouvrage vous semblez répondre à ceux qui soutiennent que les Africains sont les seuls responsables du retard économique du vieux continent ?
Vous avez très bien compris. En effet, mon courroux va sans cesse crescendo quand j'entends des pseudo intellectuels, honteusement animés d'un subjectivisme débordant, développer des thèses tendant à occulter la part de responsabilité historique de l'Occident face au retard de l'Afrique: deux siècles d'esclavage; pas moins de 70 ans de colonisation avec l'organisation d'une conférence à Berlin où fut décidé le partage du continent noir en l'absence des Africains et dans l'ignorance complètes de leurs réalités socio-culturelles. Au demeurant, certaines décisions prises lors de cette conférence restent encore la cause principale de nombreux conflits entre Etats africains. A cela on peut ajouter un néocolonialisme qui ne cesse d'enfoncer l'Afrique dans la pauvreté malgré les nombreuses ressources qu'enferme son sous-sol. Force est toutefois de reconnaitre que ce retard est aussi accentué par la corruption, les détournements de deniers publics et le non respect des principes démocratiques les plus élémentaires par certains de nos dirigents.

Vous subdivisez l’immigration sénégalaise en Italie en trois phases. Pouvez-vous brièvement nous présenter ces étapes majeures et ce qu’elles révèlent de l’évolution de la diaspora ?
Il faut d'abord préciser que cette subdivision est faite simplement à titre indicatif meme si elle est réalisée sur la base d'un certain nombre de critères dont: le contexte socio-économique du Sénégal et de l'talie; les caractéristiques marquantes du flux migratoire selon la période considèrée; le profil du migrant; les modèles de mobilisation développés par la diaspora ; le type de relations que les migrants sénégalais entretiennent avec les institutions italiennes ou avec le pays d'origine; les mutations internes etc.En prenant en considération ces différents aspects nous avons établi la classification chronoloque suivante:
1980-2000: Cette période est marquée au Sénégal par la faillite des politiques d'ajustement structurels; des cycles de sécheresse accentuant la précarité des acteurs de la filière agricole dèjà profondément éprouvés par le désengagement de l'Etat ; l'aggravation du chomage des jeunes et la dévaluation du franc cfa.
En Europe, le durcissement des politiques migratoires de la France après les deux chocs pétroliers des années 1970 et la forte demande de main d'oeuvre peu qualifiée des petites et moyennes entreprises italiennes en plein essor ont accentué considérablement les flux de migrants sénégalais vers l'Italie.Cette période a été marquée par l'entrée en vigueur de trois lois de régularisation de travailleurs d'origine étrangère ( Loi Foschi de décembre 1986; Loi Martelli de février 1990; Loi Turco-Napolitano de mars 1998).C'est aussi au cours de cette période qu'on assiste à la création des premières associations qui jouent le role d'interface entre la communauté sénégalaise et les institutions italiennes.
2000-2010: Cette décennie a été marquée par l'avénement de la loi Bossi-Fini qui a fortement augmenté le nombre d'étrangers en situation régulière en Italie.Le nombre de Sénéagalais ayant obtenu la nationalité italienne augmente et impacte sur la participation politique avec l'élection de conseillers communaux d'origine sénégalaise.Cette période se termine dans un contexte de crise économique née de la crise financière de 2007/2008 qui elle-meme dérive de la crise des subprimes des Etats-Unis.En Italie, le climat social devient incandescent pour les immigrés. Le discours politique devient de plus en plus virulent et hostile à la présence des étrangers.
2010 à nos jours: Le début de cette période a été fortement marquée par l'attaque terroriste contre les tours jumelles aux Etats-Unis. Cet événement avait fortement exacerbé le climat social dejà suffisamment délétère du fait des crises de la précédente décennie.“Le choc des civilisations” thérorisé par Samuel P. Huntington en 1996 est remis au gout du jour. En Italie, le discours politique alimente l'intollérance,la haine et la xénophobie.La communauté sénégalaise vivant en Italie a été plusieurs fois prise pour cibles occasionnant la mort de Modou Samb et Mor Diop en 2011 et de Idy Diène en 2018 à Florence.

Concernant les transferts d’argent, vous expliquez que seule une petite part est consacrée à l’investissement productif. Comment faire pour inverser cette tendance ?
Je crois que l'Etat a un grand role à jouer sur ce plan. Il doit prendre des mesures incitatives et attractives à l'image de ce qui a été fait au Maroc et dans les quatre dragons asiatiques que sont: Hong Kong, Corée; Singapour et Taiwan. Il s'agit tout d'abord de créer un cadre de concertations réunissant les différents acteurs du milieu des affaires (administrations , banques, secteur privé, société civile,diaspora...) pour définir ensemble une stratégie publique capable de stimuler la fibre patriotique des Sénégalais de l'extérieur et d'accroitre l'investissement productif. Il faut aussi mettre en branle une bonne politique de communication qui met en relief le caractère attractif de l'environnement des affaires ( stabilité politique; opportunités d'investissement; politiques du gouvernement en matière d'infrastructures et d'énergie ...) et la nécessite de se former avant d'entreprendre. Au niveau de la diaspora, les associations et les institutions diplomatiques et consulaires ont également un grand role à jouer. Elles doivent attiver des canaux de communication fluide avec la base en utilisant un langage convaincant et bien adapté à la cible. A cela il faut ajouter la création d'une banque de données et l'élaboration d'un bon mécanisme de formation, d'information, d'orientation et d'accompagnement pour amoindrir les expériences décevantes qui peuvent dissuader d'autres potentiels candidats au retour.

Dans votre analyse, vous évoquez également la nécessité de réformer les associations sénégalaises en Italie. Quelles réformes vous semblent prioritaires pour rendre ces structures plus efficaces ?
Il faut d'abord souligner pour s'en féliciter que les Sénégalais constituent une des communautés étrangères les plus organisées d'italie. Avant la fin des années 1980 dèjà, ils avaient réussi à créer une coordinatination nationale dénommée F.A.S.I (Fédération des Associations sénégalaises d'Italie). Force est toutefois de reconnaitre qu'il y a aujourd'hui nécessite à réorganiser les associations pour mieux les adapter au contexte actuel marqué par l'avénement de la loi n°125 du 11 aout 20214 qui définit le cadre général de la coopération au développement; la réforme du troisième secteur et surtout l'affirmation des secondes générations. Ces dernieres se singularisent par leur double identité culturelle qui influe sur leur façon de penser et d'agir. Nous devons donc avoir l'ingéniosité de réussir la transition et afin d'éviter que le travail fait durant ces trente dernières années soit perdu.
S'agissant des associations religieuses, elles doivent s'impliquer davantage dans la préservation des valeurs familiales qui sont sérieusement menacées de nos jours. Les conflits familiaux sont en train de prendre des proportions inquiétantes et, à mon avis, l'utilisation incontrolée des réseaux sociaux et le manque de communication au sein des couples en sont pour quelque chose.

L’association DI.S.SO que vous présidez milite pour la solidarité et le développement. En quoi votre livre est-il aussi un prolongement de l’action que vous menez à travers cette structure ?
Di.s.so (Diaspora senegalese per lo Sviluppo e la Solidarietà) a été créée en 2020 justement dans le souci d'apporter une touche innovative dans la marche de l'associationnisme sénégalais. Il s'agit de s'orienter davantage vers des actions de développant en mettant l'accent sur les projets de coopération et la promotion de l'entrepreneuriat de la diaspora au Sénégal.
Ces deux thématiques occupent une place primordiale dans mon livre. A' mon avis, nous qui voyons quotidiennement de l'extérieur les drames de l'émigration irrégulière née du chomage endémique des jeunes du Sénégal avons le devoir moral d'agir pour sinon arreter, au moins diminuer considèrablement l'ampleur du phénomène. Di.s.so s'est résolument engagée sur cette voie avec des résultats dèjà très satisfaisants.

Après ce livre, quels sont vos projets ? Envisagez-vous de poursuivre avec d’autres publications ou initiatives similaires ?
Pour l'instant je me focalise sur la promotion du livre à travers des rencontres de présentation en collaboration avec les associations. Nous avons aussi prévu d'organiser ce qu'on appelle “les grands débats de la diaspora” pour approfondir certaines thématiques contenues dans le livre. Les conclusions de ces travaux feront l'objet de rapports que nous soumettre aux décideurs.

Enfin, quel message souhaiteriez-vous adresser aux jeunes Sénégalais vivant en Italie et plus largement à toute la diaspora africaine en Europe ?
D'abord vous remercier de cette opportunité que vous m'avez offerte et remercier les Sénégalais pour les félicitations , prières et encouragements qu'ils ne cessent de m'envoyer tous les jours. J'ose espèrer que ce livre sera utile pour nous et surtout pour les générations futures.

Entretien : Malick Sakho

 

Commentaires
1 commentaires
Auteur : Posté le : 10/05/2025 à 20h30

c'est un livre très utile pour la communauté sénégalaise et surtout pour la nouvelle génération

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