Dans le Sud profond de la Casamance, au petit matin du 19 août, le village de Mandina Mancagne a été le théâtre d’un épisode tragique mais glorieux de l’histoire militaire sénégalaise. Ce jour-là, des soldats d’élite sénégalais du COSRI (le Commando des Opérations Spéciales de Recherche et d’Infiltration), unité spéciale formée pour les missions les plus périlleuses, ont payé le prix ultime pour la sécurité des populations de Ziguinchor et l’honneur de la Nation. Le sang des 33 Soldats sénégalais, et tant d'autres, sacrifiés cimente aujourd'hui les bases de notre Nation en nous dotant un pays unifié et sécurisé avec une grande démocratie.
Il faut, en effet, situer le contexte historique et militaire du sacrifice de Mandina Mancagne. Le processus de consolidation de l’unité nationale du Sénégal après l’indépendance s’inscrit dans la période allant de 1960 à 2000. Les différents conflits internes tels que l’insurrection menée par Koukoy Samba Sagna en Gambie en 1981 et la rébellion en Casamance, ainsi que les tensions frontalières, comme la crise sénégalo-mauritanienne (1989-1991) et l’Opération Gabou en Guinée-Bissau (1998-1999), ont permis de fixer durablement les frontières du pays grâce aux sacrifices de centaines de soldats sénégalais.
Les années 1980 et la première moitié des années 1990 ont marqué l’âge d’or du rayonnement de l’Armée sénégalaise. Les guerres éclaires menées en Gambie lors des “Opérations Fodé Kaba I et II” pour restaurer l’ordre constitutionnel ont contribué à cette renommée, renforcée par la participation de l’armée sénégalaise à des missions internationales commr la guerre civile du Libéria (1989-1996), la guerre du Golfe (1991), et le génocide rwandais (1994). Ces expériences ont fait de l’Armée sénégalaise l’une des plus professionnelles et aguerries du continent. Une armée dont le taux d'encadrement est très élevé au milieu des années 1990. C’est dans ce contexte que le COSRI a été créé, spécialisé dans les missions de contre-insurrection, notamment face à la guérilla du MFDC en Casamance, un type de conflit asymétrique pour lequel la doctrine militaire classique sénégalaise n’était pas adaptée.
Cependant, le conflit en Casamance dépasse le cadre d'une guerre asymétrique dans les années 1990 avec l'aide providentielle de certains membres de l'Etat-major bissau-guinéen comme Ansumane Mané. La région du Sud devient le théâtre d’une lutte acharnée. Après la victoire tactique lors de la bataille de Babonda en 1995, une atmosphère euphorique de confiance s'installe chez les rebelles. L'idée qui germe dans leur conscience collective est de quitter le Sud profond de la Casamance et occuper les villages environnants, Mandina Mancagne, de Ziguinchor afin d'attaquer la base de zone militaire voire occuper la capitale régionale. Malgré la supériorité technique de l’armée, les rebelles faisaient preuve d’une maîtrise stratégique et d’une connaissance intime du terrain. Le COSRI et le 6e bataillon se sont engagés dans l’opération avec détermination, animés par un sens du devoir inébranlable.
À 6 heures du matin, les commandos ont quitté la Zone militaire 5 pour rejoindre Mandina Mancagne. À 10 heures, les premières escarmouches éclataient. Malgré le soutien de l’artillerie, l’attaque fut rapide et intense. Les soldats du COSRI, vêtus de leur uniforme et armés de matériel sophistiqué, affrontèrent des forces rebelles supérieures en nombre et bien préparées, chaque mètre de terrain coûtant cher en vies humaines. Devant une supériorité numérique écrasante des rebelles, le bilan fut tragique, sur 36 soldats engagés, 33 ont donné leur vie pour la défense des idées républicaines de la Nation sénégalaise. Le capitaine Camara, à la tête de ses hommes, mourut héroïquement, laissant un exemple de courage et d’abnégation. En plus, le geste de ces hommes reste à jamais un symbole de sacrifice et de patriotisme rappelant que la liberté et la sécurité d’une nation reposent sur le courage de ceux qui se tiennent en première ligne.
Le sacrifice des trente-trois soldats tombés à Mandina Mancagne résonne aujourd’hui dans tout le Sénégal comme un appel au devoir et à l’honneur. Ils incarnent les valeurs les plus nobles de l’Armée sénégalaise: courage, patriotisme, abnégation et fidélité à la nation, en résumé " On nous tue, on ne nous déshonore pas ". Donc, Mandina Mancagne restera à jamais gravé dans l’histoire comme le symbole du courage inébranlable et du sacrifice ultime pour la patrie qui doit être enseignée dans les écoles. Que leur mémoire inspire les générations futures et que leur héroïsme demeure un phare guidant la nation dans ses épreuves.
Par conséquent, après Mandina, le Président Diouf et son État-major tourne vers une nouvelle stratégie. De ce drame naquit une leçon amère, car la guerre en Casamance ne pouvait être gagnée uniquement par la technologie et l’entraînement. L’armée comprit que le vrai nerf de la guerre résidait dans les lignes d’approvisionnement en armes, venues de Guinée-Bissau. C’est ainsi que fut décidée "l’Opération Gabou", intervention militaire sénégalaise chez le voisin pour couper la rébellion de ses soutiens et pour étouffer la mutinerie du Général Ansumane Mané.
Gloire éternelle et reconnaissance aux héros de Mandina Mancagne!
Honneur aux trente-trois martyrs !
Vive l’Armée nationale !
Vive la République !
Vive le Sénégal !
Maodo Ba Doba
Historien militaire contemporain,
Professeur en Études stratégiques de défense et politiques de sécurité.