Sénégalais en Italie et état sénégalais : des relations mi-figue mi-raisin

21 - Mai - 2023

Au 1° janvier 2022, 110. 763 sénégalais vivaient en Italie dont 81.345 hommes et 29.418 femmes soit 2,2% de l'ensemble des immigrés en Italie. Ils vivent majoritairement dans le nord industrialisé de l’Italie : 29,7% en Lombardie, 11,8% en Toscane, 10,7% en Emilia- Romagne, 7,7% au Veneto, et 6,9% au Piemont. C'est la 13° communauté d'immigrés la plus nombreuse. Ce sont les sénégalais en situation régulière, donc avec un titre de séjour ; donc exclus les clandestins, les réfugiés et les 3,4% de sénégalais qui ont obtenu la nationalité italienne.
Les premiers immigrés sénégalais en Italie sont arrivés au début des années 80 au moment où l'Italie n'exigeait pas trop le visa d'entrée. Ils étaient souvent originaires de la région de Diourbel ; Louga comprise et celle du Sine Saloum. Ces régions frappées par le début de sécheresse, l'abandon de la principale culture arachidière ont connu l'exode rural vers les grands centres urbains dont Dakar. Ces candidats à l'exode rural sont les premiers candidats à l'émigration vers la France, puis l'Italie. A partir de 2000, cette émigration vers l'Italie connut une croissance rapide pour ce pays en plein développement industriel à la recherche d’une main d'œuvre toujours insuffisante. La croissance de la communauté sénégalaise en Italie à partir de 2000 est due aussi à l'autorisation du regroupement familial ; femmes et enfants des immigrés commencent à rejoindre le père en Italie.
Les raisons qui poussent les personnes à quitter leur pays natal sont diverses. Il y a les raisons professionnelles et d'étude, les raisons politiques et de sécurité qui sont à l'origine des réfugiés, des raisons naturelles quand pour des catastrophes naturelles (volcan, tsunami, sécheresse, tremblements de terre) des personnes vont en exil. Mais la principale raison de l’émigration est économique ; des personnes quittent leur pays pauvre pour aller chercher du travail dans les pays riches surtout en Europe occidentale et en Amérique du Nord pour améliorer leurs conditions de vie et celles de leur famille dans le pays d'origine. Selon ce vendeur à la sauvette à Venise : " les immigrés de retour au Sénégal mettait leur famille dans une situation de bien-être et devenait des modèles de la société". Cependant il est impossible pour les pays de départ comme le Sénégal d'organiser les voyages de départ d'autant plus que pour les pays d'accueil comme ceux de l'union européenne l'immigration clandestine est un délit. En collaboration avec la police de surveillance des frontières extérieures de l'union européenne ou Frontex pays de départ et ceux d'accueil surveillent les côtes africaines principal point de départ de l'immigration clandestine.
Les rapports entre immigrés sénégalais d'Italie et le Sénégal sont multiformes et évoluent souvent en dents de scie.
La contribution économique et financière des immigrés sénégalais surtout d'Italie n'est plus à démontrer. Elle est mise en évidence par la construction et l'équipement de maisons modernes, l'amélioration des conditions de vie de leur famille et leur participation dans le système socio- économique national. Les immigrés participent activement à la construction d'infrastructures sanitaires et scolaires dans leur région natale en envoyant d'énormes sommes d'argent malgré les crises multiformes de l'Europe. Selon l'hebdomadaire " diaporaactu.net " n° 109 du dimanche 30 Avril 2023, les migrants sénégalais ont envoyé à leurs proches 1.600 milliards de francs C.F.A soit 10,5% du P.I.B. soit une hausse de 5% par rapport à 2020. Les sénégalais d'Italie avaient envoyé au pays 371 millions en 2017 et malgré la crise, dans les 9 premières années de 2020 les sénégalais sont la troisième communauté avec l'envoi de 342 millions d'euro derrière les roumains avec 553 millions d'euro et les bengalais avec 552 millions.

L'implication des immigrés d'Italie dans la vie politico- administrative du pays
Sur le plan socio- culturel, les immigrés sénégalais de retour au pays ont créé un bouleversement profond de la hiérarchie sociale sénégalaise en créant un changement radical des caractéristiques de la société traditionnelle du pays. Désormais le statut social du Sénégal n'est plus déterminé à 100% par le sang ou l'origine mais surtout par les possibilités financières. Revenant d'Europe l'immigré sénégalais souvent avec des possibilités économiques supérieures à celle de la classe moyenne, cherche une "revanche" sur les membres de son propre quartier, de son propre milieu social qui n'avait aucune considération sur lui avant son émigration. Combien de conflits sociaux entre familles de hiérarchies sociales différentes sont nés par des mariages déterminés par les possibilités financières d'un immigré piétinant toutes les considérations socio- culturelles sénégalaises. Le retour des familles des immigrés même pour des vacances crée souvent des frustrations. Même si l'immigré est accueilli à bras ouvert car ses poches sont pleines de billets de banque et ses valises remplies de cadeaux pour toute la famille, l'intégration sociale de l'immigré et de sa famille tous habitués aux réalités sociales européennes peut connaitre des difficultés dans sa famille d'origine. Il suffit de lire cette déclaration de l'extériorisation colérique de Karima Balabrack membre de S.O.S. France pour comprendre les difficultés d'intégration sociale de l'immigré aussi dans le pays d’accueil que celui de départ : " Nous fils d'immigré, nous rêvons la terre de nos ancêtres. Mais quand nous retournons au pays natal, nous sommes déçus et nous retournons illico presto. En Afrique nous sommes considérés comme des français " des toubab" et non des africains et de retour en France, les français nous demandent de retourner chez nous donc en Afrique ; nous vivons cette double exclusion sociale : notre perplexité est déchirante". Mieux vaut être que paraitre ; malheureusement socialement l'immigré n'est pas, n'existe pas.
Les rapports politico-administratifs entre immigrés surtout d'Italie et Etat du Sénégal sont les plus complexes et les plus compliqués ; un labyrinthe dont la sortie n'est encore point en vue. L'implication des immigrés d'Italie dans la vie politico- administrative du pays a commencé avec l'arrivée du président Abdoulaye Wade. Le P.D.S était présent et très actif dans les dahiras et les associations des sénégalais en Italie. Brescia, Caserta, et la Florence (Firenze) étaient des bastions du parti de Abdoulaye Wade. Ces rapports fluides, solides sont arrivés au beau fixe avec la nomination de son excellence Monsieur Mass Thiam comme sénateur. C'était un choix et une proposition faits en 2007 à Verdello dans le département de Bergamo par les sénégalais des dahiras, des associations, et du P.D.S. Mr Mass Thiam avait un des trois sièges de sénateurs réservés à des représentants des sénégalais de l'extérieur. C'était un sénat éphémère aboli par le président Wade car c'était une institution fortement contestée par l'opposition. Le divorce entre les immigrés sénégalais surtout d'Italie et l'Etat du Sénégalais est survenu en Aout 2011 quand le gouvernement de Wade en accord avec la SO.NA.TEL : a décidé d'augmenter le coût des appels entrants au Sénégal portant dans les caisses de l'Etat presque 17 milliards de Francs C.F.A. sur le dos de la diaspora. La réaction des immigrés partout en Europe avait commencé par la manifestation à Paris le 25 Aout 2011 par les immigrés originaires de la région de Louga. Ce mécontentement de la diaspora a connu une recrudescence avec la décision du président Wade de maintenir à 5 ans l'âge des voitures d'occasion importées d'Europe. L’âge fut porté à 8 ans à l'arrivée du président Macky Sall.
Pourtant il faut reconnaitre que ce que l'Etat du Sénégal a fait pour sa diaspora dépasse de loin ce que tous les 55 pays africains ont fait pour les immigrés. En 1993, la direction des sénégalais au ministère des affaires étrangères devenue en 1995 le conseil supérieur des sénégalais de l'extérieur a été créée ayant un rôle consultatif. Par le référendum de 2001, un député des sénégalais de l'extérieur est élu sur les listes nationales mais pas directement par les immigrés sénégalais. Depuis les élections de 2007, le Sénégal est le seul pays africain voire le seul au monde qui a ouvert le plus de bureaux de vote pour ses ressortissants. Il faut donc attendre la décision de l'assemblée nationale sénégalaise en 2007 pour élire par la diaspora de 15 députés répartis proportionnellement à la résidence des sénégalais dans le monde. Malheureusement la diaspora n'a rien compris et a manqué le coche pour se prendre en charge en ayant des représentants capables de défendre ses intérêts. La diaspora n'a pas réfléchi et statué sur le profil de ses députés. Les immigrés ont été manipulés par les politiciens et les partis politiques. Avec l'instinct grégaire et une philosophie de mouton de panurge, ils ont suivi les politiciens pour élire des députés dans la diaspora représentants de partis politiques mais non des députés de la diaspora capables de défendre les intérêts des immigrés.
Du point de vue administrative, l'Etat du Sénégal a rempli son devoir pour la diaspora. Passeports, cartes d'identité et pièces d'état civil et tout autres documents des sénégalais de l'extérieur sont obtenus en un minimum de temps et à un prix le plus bas du monde. Des 192 nations du monde, le Sénégal a le prix le plus bas du monde pour la confection d’un passeport.. Last but not least l'entrée en vigueur par le Sénégal à partir du 23 Mars 2023 de la convention de l'apostille vient résoudre le grand obstacle de la légalisation des documents administratifs des immigrés. C'est normal le cafouillage dans le début de l'application de l'apostille, mais qui connait la professionnalité de l'administration sénégalaise peut s'attendre à des lendemains meilleurs. La création des services du B.A.S.E. et du F.A.I.S.E. pour assister les immigrés est une innovation de taille ; mais il faut les redémocratiser pour élargir leur base sociale pour enlever tout soupçon d'appartenance et de clientélisme politiques.
Pour arriver à l'idéal d'un immigré sénégalais totalement satisfait de son Etat, il reste au gouvernement sénégalais de négocier des accords bilatéraux avec l'Italie. Ce ne sera pas une sinécure. Depuis 2000, l'Italie vit une instabilité politique sans précédent. Seul le premier ministre Berlusconi a pu terminer sa législature ; depuis lors 6 gouvernements techniques choisis par le président de la république se sont succédés. En 2022, une coalition de la majorité de droite avec l'honorable Giorgia Méloni vient d'être élue.
Ni immigrés, ni Etat ne tire profit de ce conflit latent ; latent car les causes de l'éloignement entre Etat sénégalais et diaspora ne sont pas bien cernées. Tous les deux camps vivent la tension et se demandent pourquoi ce flou ? l'immobilisme n'est une stratégie pour régler un conflit. La vraie diaspora doit renouer le dialogue. La vraie diaspora est dans les associations, les dahira, les lieux de travail, les O.N.G. et organismes d'immigration. Cette diaspora politique activiste est une infime, anodine, dérisoire et modique minorité oisive sans la politique et présente dans les grandes surfaces, les esplanades, les jardins publiques souvent dans des activités pas trop licites. Cet agrégat politique de la diaspora manipule à grande échelle devant un auditoire d'analphabètes et d'ignorants invétérés l'idée selon laquelle la diaspora fait l'élection et décide de la victoire. C'est une idée fausse, factice, inventée et mensongères. La diaspora représente une modeste proportion de l'électorat sénégalais : 2,8% en 1993, 3,9% en 2000, 2,8% en 2007 et 3,6% en 2012 ; un taux inférieur à la moyenne nationale de 10%. Donc depuis 1993, si on annulait le vote de la diaspora, les résultats des élections présidentielles seraient inchangés. Pour les dernières élections de 2022, seule la moitié des 206.000 inscrits a voté pour élire 15 députés. Si on prend en compte le coefficient électoral de 2017 ; soit 55 000 électeurs pour un député, la diaspora devrait avoir deux députés : pourquoi cette discrimination positive au profit de la diaspora et au grand dam des sénégalais du territoire national.
Donc au grand bénéfice de la très grande majorité de la réelle diaspora, il est temps et grand moment de renouer le dialogue entre Etat et diaspora en dehors de toute considération politique. En tant que citoyens sénégalais à part entière, ce sevrage dont nous sommes victimes à cause de la politique politicienne commence à peser et dans le futur peut être dramatique pour la seconde génération d'immigrés qui peut en pâtir à tout point de vue.

Magatte Simal
C.A.D.E.E.S. Italie

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