Paris, le 8 mai 2025 - Le temps semble s’être suspendu, ce jeudi matin, sur la Place des Tirailleurs Sénégalais, nichée au cœur du 18e arrondissement de Paris. En cette journée du souvenir, marquant les 80 ans de la victoire des Alliés contre le nazisme, c’est ici que s’est joué un moment fort de reconnaissance envers ceux dont les noms, bien trop souvent, se sont effacés des récits officiels : les Tirailleurs Sénégalais.
Ces soldats africains, enrôlés sous le drapeau français lors des deux guerres mondiales, ont payé le prix fort pour une liberté qui n’était pas la leur, et pour une patrie qui, longtemps, les a maintenus à la périphérie de sa mémoire. Ce 8 mai 2025, la République leur a rendu un hommage aussi solennel .
Sous un ciel printanier, les gerbes de fleurs ont été déposées au pied de la stèle qui honore les tirailleurs. Le maire du 18e arrondissement, des parlementaires, des représentants associatifs et diplomatiques, mais aussi des familles et de nombreux anonymes ont fait le déplacement. Parmi eux, une délégation sénégalaise d’exception, portée par la ferveur religieuse et la volonté de témoigner.
Le cœur de cette présence sénégalaise battait au rythme des pas de figures charismatiques de l’islam confrérique : Serigne Cheikh Abdoul Ahad Mbacké Gaindé Fatma, héritier spirituel de Cheikh Ibrahima Fall, était présent aux côtés de Serigne Fallou Fall et Serigne Cheikh Khady Fall. Les Tidianes n’étaient pas en reste : dépêchée par Serigne Habib Sy Mansour, Khalife général de la Tidjaniyya, la délégation comprenait Serigne Mame Oumar Ndiaye, Serigne Ahmedine Sall, descendant de Mame Sidy Ahmed Sy Malick, son frère Serigne Pape Sall et Serigne Djamil Sy, fils de feu Serigne Cheikh Tidiane Sy Mansour.
Les Dahiras tidianes de Paris, sous la coordination d’Aymerou Samb, ont accompagné l’hommage par leurs invocations, mêlant spiritualité et mémoire collective. Ce moment rare fut bien plus qu’un simple hommage militaire : il fut une réhabilitation morale et une communion entre les vivants et ceux qui sont tombés pour une cause qui les dépassait.
Il faut rappeler que les Tirailleurs Sénégalais ne sont pas des personnages de roman. Ils furent des milliers, arrachés à leurs villages d’Afrique de l’Ouest pour servir dans une armée qui les considérait comme des subalternes. Beaucoup sont morts sur les champs de bataille de Verdun, de la Somme, ou de Monte Cassino. D’autres furent exécutés après leur capture en 1940, victimes de préjugés raciaux. Et d’autres encore furent massacrés à Thiaroye, en 1944, pour avoir osé réclamer leur solde.
Malgré ces sacrifices, leur mémoire a longtemps été confinée à quelques discours de circonstance. Aujourd’hui, elle refait surface, portée par des descendants qui refusent l’oubli, et par une société qui tente – enfin – de regarder en face cette part douloureuse de son histoire.
La cérémonie ne s’est pas arrêtée à Clignancourt. À l’invitation du maire, les participants ont été accueillis à la mairie du 18e, pour prolonger ce moment de recueillement par des échanges sur la transmission de cette mémoire. Un besoin urgent, alors que les derniers survivants disparaissent et que les plus jeunes ignorent parfois jusqu’à l’existence de ces soldats africains dans les rangs français.
Vendredi, la mémoire se déplacera à un autre lieu emblématique : l’Arc de Triomphe. Un dépôt de gerbe y est prévu, suivi d’une Hadaratoul Jumah, prière soufie collective qui liera le sacré au patriotique. Car l’héritage des tirailleurs n’est pas seulement militaire : il est spirituel, culturel, humain.
Rendre hommage, ce n’est pas seulement dire merci. C’est aussi réparer, enseigner, inscrire. La France a le devoir d’inscrire durablement les Tirailleurs Sénégalais dans son récit national : dans les manuels d’histoire, sur les plaques de rue, dans les mémoriaux. Elle a le devoir de reconnaître leur engagement, de garantir leurs droits – à leurs familles, à leurs descendants.
Ce 8 mai, la République a entendu une voix venue du Sud. Une voix qui ne réclame ni privilège ni vengeance, mais simplement justice et mémoire. Parce qu’il n’y a pas de fraternité possible sans vérité.
La Place des Tirailleurs Sénégalais n’est plus seulement un nom sur une carte. Elle est désormais le théâtre d’un réveil mémoriel, porté par une diaspora lucide, des héritiers engagés et une société française qui commence à ouvrir les yeux sur cette part enfouie de son passé.
Sakho Malick