La situation des émigrés sénégalais en Mauritanie est de plus en plus marquée par des mesures restrictives et un climat d’incertitude. Autrefois, la traversée vers la Mauritanie était simple : il suffisait de franchir la frontière pour s’y établir et parfois même obtenir facilement la nationalité mauritanienne. Mais depuis les événements tragiques de 1989, les choses ont radicalement changé.
Le durcissement des conditions de séjour s'est accentué avec l’introduction du recensement national biométrique, dont l’objectif principal est de trier les étrangers et de limiter leur intégration. Si certains ont réussi à obtenir la double nationalité, notamment sur la côte, la majorité vit désormais dans une insécurité administrative permanente.
Les contrôles sont devenus plus rigoureux avec des postes de contrôle fréquents sur les routes nationales et la mise en place d’un nouveau corps de sécurité routière, appelé Mouskharou.
Carte de séjour : un système opaque et décourageant
La création d’un système de carte de séjour a été mise en œuvre en collaboration avec certaines structures non gouvernementales. Mais, dans la majorité des cas, les demandeurs — principalement des Sénégalais — n'ont jamais vu leur carte délivrée. Ce programme semblait davantage viser à identifier les étrangers pour mieux les exclure des futurs recensements qu’à régulariser leur situation.
Discrimination dans le monde du travail
Les secteurs de l'artisanat, du bâtiment ou de l'éducation, dans lesquels les Sénégalais excellent grâce à leur solide formation, sont aujourd’hui de plus en plus fermés aux étrangers. Sous pression, des lois ont été votées pour limiter l'accès à l’enseignement privé, car de nombreux enseignants sénégalais étaient préférés pour leur compétence.
Le même rejet s'étend aux chauffeurs de taxi clandestins, en majorité sénégalais, dont l’activité est désormais fortement réprimée, l'obtention du permis étant réservée aux nationaux.
Renouvellement difficile de la carte de séjour
Le renouvellement de la carte de séjour est devenu un véritable parcours du combattant : il faut fournir un contrat de travail, un tuteur mauritanien, un certificat de résidence signé par le Wali, et s'acquitter de 30 000 ouguiyas chaque année, pour un titre de séjour valable seulement un an. Ces exigences en ont découragé plus d’un, poussant certains à rebrousser chemin ou à tenter leur chance ailleurs, notamment au Maroc.
Pression sur les entrepreneurs et arrestations ciblées
Les chefs d’entreprise sénégalais ne sont pas épargnés. Le système de permis d’exploitation (belidieu) exige de nombreux documents et implique des coûts élevés, rendant difficile l’ouverture ou la régularisation d’une activité commerciale.
Dans ce climat, certains agents de police mauritaniens profitent de la situation, notamment au poste frontalier de Rosso, pour exercer des tracasseries sur les Sénégalais. Ils exploitent la peur d’un retour aux tensions ethniques de 1989. Par crainte de représailles ou pour éviter tout trouble public, beaucoup préfèrent payer de petites sommes pour "régler" les problèmes plutôt que d’affronter l’appareil administratif.
Une lueur d’espoir… ou un piège ?
Récemment, une nouvelle mesure a été annoncée : pour obtenir la carte de séjour, il suffirait désormais de présenter une pièce d'identité ou un passeport, la carte consulaire et une preuve de devise (moins de trois mois), le tout contre 3 000 ouguiyas. Cette facilité a été saluée. Mais une question reste en suspens : le renouvellement sera-t-il aussi simple ?
La communauté sénégalaise en Mauritanie reste donc dans l’attente, entre promesses non tenues, discriminations structurelles et rêve d’une vie stable à l’étranger.
Qu’est-ce qui se cache derrière toutes ces restrictions ? S’agit-il d’une politique de limitation volontaire de la présence étrangère ou d’un contrôle administratif mal géré ?
Une chose est sûre : la situation mérite une attention urgente des autorités sénégalaises et des organisations internationales.
Daouda Thiam, Correspondant en Mauritanie