Dans l’univers politique sénégalais, où les trajectoires sont souvent balisées par des filiations politiques, des alliances de circonstance ou des héritages familiaux, Damel Meïssa Fall détonne. Ni héritier d’un parti, ni produit d’un appareil d’État, il avance à contre-courant, porté par une construction personnelle lente, exigeante et résolument ancrée dans la diaspora. Son parcours ne doit rien au hasard. Il est le fruit d’un engagement de longue haleine, nourri par l’expérience, la connaissance et une foi constante dans l’action citoyenne.
Tout commence à Thiès, dans les murs du prestigieux lycée Malick Sy. Là, Damel forge ses premières armes, attiré très tôt par les sciences humaines et les réalités sociales du territoire. Il se passionne pour la géographie, avec une attention particulière pour l’urbanisation et l’aménagement. Très vite, le besoin de comprendre les dynamiques urbaines dans leur complexité le pousse à élargir ses horizons. Il prend la direction de la France, où il poursuit ses études à Lyon, à l’Université Lumière Lyon 2. Il y obtient une licence puis une maîtrise, avant de rejoindre l’Institut Français d’Urbanisme (Université Paris VIII), où il décroche un DESS en urbanisme et aménagement, option expertise internationale. Un parcours solide, cohérent, sans esbroufe. Le titre de son mémoire, centré sur la gestion des services urbains à Thiès, en dit long sur son attachement aux réalités locales. La suite se passe à la Sorbonne (Paris I), où il prépare un DEA en géographie du développement, cette fois sur la mise en œuvre de la décentralisation à Thiès. Pas de théorie pour la théorie, mais toujours le souci de relier les concepts à la pratique, les idées au terrain. À l’issue de ce parcours académique dense, il ne choisit ni les couloirs de l’administration, ni les cabinets ministériels. Il s’engage dans l’enseignement, d’abord dans un institut psychothérapeutique du Val-de-Marne, le Cèdre Bleu. Une expérience à mille lieues des projecteurs politiques, mais qui affine chez lui une sensibilité forte aux vulnérabilités sociales, à ce que les parcours de vie disent des inégalités structurelles. Une maison d’édition indépendante Il poursuit ensuite dans le conseil, avec dix années passées à accompagner des projets d’urbanisme et d’ingénierie sociale, entre la France et le Sénégal. Là encore, c’est l’approche du terrain qui prime. Damel ne se contente pas de penser les villes, il les écoute, les traverse, les interroge. Il travaille avec les populations, s’imprègne des réalités locales, loin de toute posture surplombante. Parallèlement à ses activités professionnelles, Damel Meïssa Fall écrit. En 2007, il fonde les Éditions Ceddo, une maison d’édition indépendante qui deviendra un lieu d’expression pour de jeunes auteurs africains. À travers ses propres ouvrages ,Le Journal de l’Afrique en France , Silence, on dénigre, Au nom des miens, Amours païennes , il explore la condition diasporique, l’exil, la représentation de l’Afrique dans les imaginaires européens. Mais ces livres ne sont ni des cris de colère ni des thèses à charge. C’est une écriture du détail, de la retenue parfois, mais toujours habitée. Il y a chez lui une façon de mettre en lumière les failles sans tomber dans le ressentiment, de dénoncer sans caricaturer. Une plume claire, lucide, nourrie par l’expérience vécue. L’engagement politique arrive progressivement. D’abord dans la diaspora, auprès des sans-papiers, avec la création de collectifs citoyens comme RAFALE ou l’Observatoire Images & Représentations. Il organise des rencontres, alimente des débats, questionne les représentations. Puis, en 2011, il franchit le pas de la candidature. Depuis Milan, il lance Sunu Natangué Rew (“Notre pays prospère”), un mouvement citoyen né dans la diaspora italienne. À la veille de la présidentielle de 2012, il annonce sa candidature avant de se retirer stratégiquement au profit de Macky Sall, qu’il soutiendra activement. Une manière pour lui de privilégier la cohérence politique à l’ambition personnelle. Dans la foulée de l’alternance, il est nommé chargé des affaires extérieures de la coalition, puis conseiller spécial du Premier ministre. Il devient alors, aux yeux de beaucoup, un des visages crédibles de la diaspora politique sénégalaise. En 2014, il lance la campagne “Restaurons la dignité”. Une campagne sobre, sans folklore ni slogans tapageurs. Le ton est donné : Damel Meïssa Fall refuse les raccourcis. Ni ethnicisme, ni clientélisme, ni jeux d’allégeance. Juste une ligne claire : le respect du citoyen, la transparence, l’éthique. En 2017, il se présente aux élections législatives à la tête de la liste indépendante “La Vraie Rupture”. Malgré l’absence de soutien des grandes coalitions, il recueille plus de 12 000 voix. Un score plus qu’honorable, salué pour son audace et sa rigueur. Là où d’autres cherchent l’adhésion par le bruit, il tente la persuasion par la clarté. Ses propositions sont concrètes : création d’une banque de la diaspora, réforme du système électoral, promotion des mécanismes de participation citoyenne. Durant la crise du Covid-19, il prend part aux actions de sensibilisation, avec une parole posée, loin des polémiques, fidèle à une logique de responsabilité collective. Une voix crédible À la tête de Sunu Natangué Rew, Damel Meïssa Fall continue de creuser son sillon, sans renier sa méthode : patience, rigueur, constance. Il ne cherche pas à incarner un messie politique, mais une voix crédible dans un champ souvent saturé de promesses sans lendemain. Dans un Sénégal traversé par les incertitudes, où les repères vacillent, il propose un cap. Une politique débarrassée de la mise en scène, recentrée sur le service du bien commun. Son parcours, de Thiès à Paris, de Milan à Dakar, n’a rien d’un itinéraire classique. C’est celui d’un homme qui n’a jamais cessé de croire que la diaspora pouvait contribuer autrement, en pensée comme en action, à la transformation du pays. Damel Meïssa Fall n’est pas un homme qu’on propulse. Il est de ceux qui prennent leur place, lentement mais sûrement, par la cohérence de leur engagement et la clarté de leur démarche. Dans un système politique qui cherche parfois plus à séduire qu’à servir, il fait entendre une autre musique. Plus grave, plus posée, mais profondément nécessaire.
Malick Sakho