Il y a, dans les rues d’Italie, de France, d’Espagne ou d’Amérique, des Sénégalais qui, loin de la terre-mère, continuent de faire battre le cœur du pays. Ils sont chauffeurs, ouvriers, commerçants, étudiants, cadres ou mères de famille. Tous ont un point commun : celui de ne pas avoir oublié d’où ils viennent.
Mais au-delà des réussites individuelles, c’est le tissu associatif et le réseau des dahiras qui maintiennent le souffle collectif de cette diaspora. Ils sont les gardiens de la solidarité, de la spiritualité, de la culture et du vivre-ensemble. Ils sont, en silence, les architectes du lien social sénégalais à l’étranger.
Quand un compatriote tombe malade, perd un proche, ou se retrouve en difficulté, ce ne sont pas toujours les institutions consulaires qui interviennent les premières, mais les associations et les dahiras.
Elles s’organisent, collectent, soutiennent, prient, consolent, accompagnent.
Elles deviennent, en quelque sorte, des ambassades humaines, des refuges communautaires où la main tendue vaut bien plus que les discours officiels.
Dans un monde où l’exil peut rimer avec solitude et désenchantement, ces structures sont un remède, un équilibre, une présence.
Un rôle fondamental
Les dahiras, héritiers de nos traditions soufies, ne se contentent pas de chanter les louanges de leurs guides spirituels : ils transmettent des valeurs : la paix, la patience, la solidarité, la modestie, le service. Ils rappellent à chacun que même loin du pays, on peut rester habité par Dieu, par la communauté et par la dignité.
Les associations, quant à elles, incarnent la modernité de cette solidarité : elles organisent des événements, accompagnent les démarches administratives, soutiennent les familles endeuillées, lancent des actions de développement au Sénégal, parfois même dans l’anonymat le plus total.
Mais au-delà de l’aide matérielle, ces structures jouent un rôle fondamental dans la préservation de la stabilité morale et émotionnelle de la diaspora.
Elles apaisent les frustrations, préviennent les dérives, encadrent la jeunesse.
Elles créent des ponts entre les générations, entre ceux qui sont nés au Sénégal et ceux qui sont nés ici, dans les banlieues de Milan, Paris ou Barcelone.
Elles offrent une identité, une appartenance, une continuité culturelle dans un environnement parfois hostile ou indifférent.
Un socle de l’équilibre collectif
Leur action dépasse donc le cadre spirituel ou humanitaire : elles sont le socle de l’équilibre collectif.
Dans un contexte où la précarité, la désinformation, les tensions religieuses ou politiques menacent souvent la cohésion, les dahiras et associations rappellent que nous appartenons d’abord à une même communauté de destin.
Mais il faut le dire, sans détour : ce tissu associatif se fragilise.
Le temps, la fatigue, les divisions, les ego, les rivalités politiques ou confrériques ont parfois fissuré ce socle qui faisait la force de la diaspora.
Certains dahiras se replient sur eux-mêmes. Certaines associations deviennent des coquilles vides, plus symboliques qu’actives. D’autres se laissent happer par la logique de prestige, au détriment de la mission première : servir.
Ce constat doit nous réveiller.
Car si les dahiras et associations se perdent, c’est toute la diaspora qui perdra son âme.
Quand le tissu communautaire se déchire, il ne reste que l’individualisme et la nostalgie.
Le devoir de mémoire, de transmission et de fraternité doit être réaffirmé avec force.
Être membre d’un dahira ou d’une association, ce n’est pas seulement porter un uniforme ou assister à des réunions : c’est porter une responsabilité morale.
C’est comprendre que derrière chaque activité, il y a un message, un impact, une âme à préserver.
C’est savoir que ces structures sont les premiers visages du Sénégal à l’extérieur. Leur discipline, leur unité et leur exemplarité rejaillissent sur tout un peuple.
Ces entités ont donc un devoir double:
- Envers la communauté, pour continuer à accompagner, éduquer, soutenir, rassembler.
- Envers le Sénégal, pour servir de relais du développement, de laboratoire d’idées, de courroie entre le savoir acquis ici et les besoins là-bas.
Leur rôle ne se limite plus à la prière ou à la solidarité. Elles doivent devenir des acteurs structurants de la diaspora : dans la formation des jeunes, la prévention sociale, la médiation culturelle, et même l’éducation civique.
Un relais de foi et de solidarité
Il est temps de repenser nos dahiras et associations comme des institutions vivantes, capables d’évoluer avec leur temps sans renier leurs valeurs.
Le Sénégal de demain se construira aussi depuis l’étranger, à travers ces relais de foi et de solidarité.
Leur unité, leur sérieux, leur ouverture détermineront en grande partie la stabilité morale et culturelle de nos compatriotes à l’extérieur.
C’est pourquoi ce dossier est un appel à la conscience :
à ceux qui dirigent, à ceux qui suivent, à ceux qui hésitent, à ceux qui se sont éloignés.
Il est urgent de retrouver le sens du collectif, le goût du service, l’esprit du “ndimbël” ,cet art d’aider sans calcul, de donner sans attendre.
Les associations et les dahiras ne sont pas de simples structures sociales.
Ils sont la mémoire et la force invisible de notre diaspora.
Sans eux, il n’y aurait ni cohésion, ni transmission, ni repères.
Mais pour continuer à jouer ce rôle, ils doivent se réinventer, s’unir, se moderniser , sans jamais trahir leur essence.
Le Sénégal compte sur sa diaspora.
Et la diaspora, elle, doit pouvoir compter sur ses associations et ses dahiras.
C’est un pacte moral, un devoir collectif.
Car, comme le disait feu Serigne Cheikh Ahmadou Bamba :
“Le plus grand djihad, c’est celui que l’on mène contre soi-même pour le bien de la communauté.”
Malick Sakho