Régine Komokoli : Itinéraire d’une « clandestine » devenue élue de la République

08 - Décembre - 2025

Il y a des voix qu’on n’entend pas tout de suite. On croit les croiser dans un couloir, dans une salle d’attente, sur un trottoir, puis l’on découvre, des années plus tard, qu’elles portaient une force insoupçonnée.
La voix de Régine Komokoli est de celles-là : une voix longtemps étouffée, longtemps contenue, aujourd’hui ferme, précise, indomptable.

À 44 ans, cette élue d’Ille-et-Vilaine, originaire de Centrafrique, incarne une France qui ne se raconte pas souvent dans les discours officiels : celle des trajectoires cabossées, des résiliences lentes, des femmes qui n’ont rien demandé d’autre qu’un peu de paix , et qui se battent, faute de l’avoir reçue.
Régine Komokoli ne romantise jamais son enfance. Elle en parle avec une lucidité froide, comme si les années avaient fixé chaque souvenir à la manière d’une photographie en noir et blanc.
Elle a connu la pauvreté, la guerre, les pertes successives. Puis un jour, comme tant d’autres jeunes filles, elle a été « désignée » pour partir. Une famille entière a placé ses espoirs sur ses épaules d’adolescente.
Elle avait 18ans quand elle est arrivée en France. Pas de papiers. Pas de filet. Pas d’avenir apparent.
La suite, c’est d’abord une succession d’humiliations silencieuses : la peur du contrôle, les nuits sans toit, l’exploitation déguisée en hospitalité, puis ce mariage blanc proposé « pour l’aider ». Un homme de 57 ans face à une jeune femme de 19.
Un mariage qui devait la protéger et qui deviendra une prison.
« J’ai été violée légalement », dira-t-elle plus tard, d’une voix qui ne tremble plus.
Ces phrases, elle ne les prononce jamais pour s’apitoyer. Elles constituent le socle brut de ce qu’elle combat aujourd’hui.
Il faut imaginer Régine, assise sur un lit d’auberge ou seule dans une chambre prêtée, s’acharnant à apprendre le français grâce à une prof trouvée sur Leboncoin.
Il faut la voir enchaîner les petits boulots, décrocher un diplôme d’aide-soignante, obtenir enfin la nationalité française.
Et juste au moment où l’horizon semblait s’éclaircir, la violence conjugale la rattrape.
En 2018, enceinte de son troisième enfant, elle se retrouve frappée, hospitalisée, puis de nouveau agressée à la sortie de prison de son conjoint. Elle fuit. Elle protège ses filles.
Et elle tombe encore plus bas : trois ans d’errance, plus de mille nuits dans des hôtels sociaux, ou parfois dans sa voiture.
« Ça ne devrait pas être aux femmes battues de quitter leur maison », répète-t-elle souvent. Elle en a fait un combat personnel , et politique.
C’est dans un modeste local des écologistes à Rennes que tout bascule.
Elle n’a ni réseau, ni argent, ni expérience. Elle a seulement la certitude qu’elle ne peut plus se taire.
Quand le parti dit chercher « des personnes issues de la société civile », elle lève la main.
Elle raconte son histoire.
Elle parle des femmes qui n’osent pas.
Elle parle des précaires, des sans-papiers, de celles qui ne maîtrisent pas le français et se retrouvent devant un policier incapable de les comprendre.
On lui dit qu’elle n’a aucune chance.
Elle sourit doucement et se présente quand même.
Elle mise toutes ses économies, fait campagne comme on mène une dernière bataille.
En 2021, contre toute attente, elle est élue conseillère départementale d’Ille-et-Vilaine.
Une victoire discrète mais immense, non pas pour elle, mais pour toutes celles qu’elle représente.
À Rennes, dans le quartier de Villejean où l’on parle plus de cinquante langues, elle cofonde le collectif Kune.
Un groupe de femmes qui ne se reconnaissent pas dans les modèles habituels du féminisme.
Un féminisme de la débrouille, du quotidien, de la pédagogie lente, qui se faufile dans les interstices des cultures, des traditions, des résistances familiales.
« On nous disait de ne pas oublier d’où on vient », raconte-t-elle.
Ce qu’elle n’a jamais oublié, précisément, c’est ce que signifie se taire par
Le déclic, c’est un féminicide dans le quartier.
Une femme appréciée de tous, tuée par son compagnon.
Régine et les membres du collectif comprennent alors que l’urgence est là : la parole doit pouvoir se libérer ailleurs que dans les bureaux administratifs.
Elles créent Les Clandestines, un réseau d’écoute discret, multilingue, incrusté dans le quotidien : à la sortie des écoles, au marché, à la mosquée, dans les files d’attente.
Des femmes formées à accueillir des confidences brutes, à documenter, à orienter.
Pas de logo. Pas de permanence visible. Pas de communication tapageuse.
Juste des femmes qui veillent sur d’autres femmes.
« Notre objectif, c’est que les hommes violents ne puissent plus compter sur le silence de leurs victimes », affirme Régine.
Le 16 février 2025, en pleine réunion institutionnelle, face à des remarques cyniques sur la protection des femmes, Régine perd son calme.
Elle se lève, relève sa jupe, retire son collant.
Elle montre ses cicatrices : seize marques, pour seize coups de couteau.
Ce geste aurait pu la desservir.
Il l’a rendue plus crédible, plus réelle, plus urgente.
Régine Komokoli n’est pas une élue « comme les autres ».
Elle ne recherche pas la tranquillité.
Elle ne joue pas la partition habituelle.
Elle est la traduction vivante de la politique lorsque celle-ci revient à son sens premier : protéger.
Dans les couloirs institutionnels, certains l’observent avec admiration, d’autres avec scepticisme.
Elle n’en a cure.
Elle poursuit son chemin, avec la conviction que son histoire, aussi dure soit-elle, n’a de valeur que si elle devient utile.
Femme noire, ex-migrante, ex-SDF, mère seule, aujourd’hui élue de la République :
son existence est déjà une réponse à ceux qui prétendent que les destins sont écrits d’avance.
Régine Komokoli n’a rien oublié : ni les nuits dans la voiture, ni les coups, ni les portes fermées.
Mais elle a transformé chaque cicatrice en outil politique.
Et c’est peut-être pour cela que son parcours parle à tant de femmes :
parce qu’il ne promet pas l’illusion du miracle,
mais la possibilité d’un courage qui change tout.


Malick Sakho

 

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