1. "Le Sénégal n'a pas de problème politique mais plutôt un problème d'autorité(s)"
En disant cela, Ousmane Sonko semble vouloir recentrer le débat. Il minimise l'existence de divergences idéologiques ou de visions opposées (le "problème politique") pour mettre en avant une question de pouvoir et de légitimité de l'État ("problème d'autorité").
Cela peut être interprété comme une volonté de passer outre les querelles politiciennes stériles pour se concentrer sur l'action gouvernementale. Cela suggère que le gouvernement est prêt à user de son autorité pour faire avancer son programme sans être entravé par des oppositions qu'il considère comme dilatoires ou illégitimes.
Ignorer l'existence de problèmes politiques (divergences d'opinions, opposition, pluralisme démocratique) est risqué dans une démocratie. La politique, c'est aussi le débat, la contestation, et la recherche de compromis. Affirmer qu'il n'y a pas de problème politique pourrait être perçu comme un déni des réalités démocratiques, ou une volonté de réduire l'espace de la contestation légitime. Cela peut être interprété comme une vision unilatérale du pouvoir.
La question de l'autorité est cruciale pour l'État. Si le Premier ministre estime que l'autorité est défaillante, cela peut pointer du doigt des résistances internes à l'administration, ou des forces extérieures (économiques, médiatiques, ou politiques non reconnues) qui saperaient l'action du gouvernement.
2. "Ou bien si on le limoge il retrouvera son poste de député à l'assemblée nationale"
Cette phrase est perçue comme une forme d'ultimatum ou de "quitte ou double". Le Premier ministre, conscient de la précarité de sa position (il est nommé par le Président), affirme qu'il est prêt à en assumer les conséquences s'il est démis de ses fonctions, en rappelant sa légitimité parlementaire.
Défiance ou confiance ? C'est une déclaration ambiguë. D'un côté, elle peut être vue comme un signe de défi et de confiance en sa propre légitimité populaire et parlementaire, affirmant qu'il ne craint pas d'être démis. Il se positionne comme un serviteur des idées plus que des postes.
Cette phrase met en lumière une tension potentielle au sein de l'exécutif. La Constitution sénégalaise donne au Président le pouvoir de nommer et de révoquer le Premier ministre. En évoquant ouvertement cette possibilité et ses conséquences personnelles, Ousmane Sonko semble vouloir rappeler sa puissance politique au-delà de sa fonction gouvernementale. C'est une sorte de "je suis là pour faire le job, si vous ne me donnez pas les moyens ou si vous m'arrêtez, j'ai d'autres cartes en main".
C'est aussi un message fort à sa base militante : "Je suis prêt à tout pour la Rupture, même à perdre ma fonction actuelle, car ma légitimité populaire et ma mission sont plus grandes que mon poste". Cela peut renforcer sa popularité auprès de ses partisans, mais aussi inquiéter ceux qui cherchent la stabilité.
3- La phrase : "Que le président Diomaye prenne ses responsabilités"
Un appel, une exigence, ou une mise en demeure ?
- Un appel à l'action : Au premier niveau, c'est un appel clair au Chef de l'État pour qu'il agisse. Le terme "responsabilités" ici ne signifie pas seulement "faire son devoir", mais "agir conformément à la mission et aux attentes". C'est une demande de concrétisation et de fermeté.
- Une exigence implicite : Le ton ne semble pas être celui d'une simple suggestion. Venant du Premier ministre, et couplé à "qu'on me laisse gouverner", c'est davantage une exigence. Il ne s'agit pas de "si le Président veut bien", mais "le Président doit prendre ses responsabilités".
- Une mise en demeure : Dans le contexte d'une menace à peine voilée de revenir à l'Assemblée ("si on me limoge"), cette phrase prend des allures de mise en demeure. C'est comme si Sonko disait : "Président, agissez maintenant, car sinon, les conséquences (qui pourraient inclure ma démission ou mon limogeage) seront sur votre responsabilité."
A. Les "responsabilités" en question : De quoi parle-t-on concrètement ?
- Responsabilités d'arbitrage et d'autorité suprême : Le Président est la clé de voûte de l'exécutif au Sénégal. S'il y a des blocages (internes à l'administration, ou externes), c'est au Président d'exercer son autorité constitutionnelle pour les lever. Ces responsabilités incluent :
* Arbitrer les divergences : S'il y a des désaccords au sein du gouvernement ou entre le gouvernement et d'autres institutions de l'État, c'est au Président d'arbitrer et de trancher.
* Faire appliquer les décisions : S'il y a une inertie administrative ou des sabotages, c'est au Président d'utiliser ses prérogatives pour s'assurer que les directives du gouvernement soient appliquées.
* Protéger l'action gouvernementale : S'il y a des "forces" qui entravent l'action du Premier ministre, le Président doit les neutraliser ou du moins les contenir.
* Responsabilités liées à la "Rupture" et au mandat : Le duo Diomaye-Sonko a été élu sur un programme de rupture. "Prendre ses responsabilités" signifie aussi concrétiser les promesses faites au peuple. Si la "Rupture" est ralentie ou entravée, la responsabilité finale en revient au Président. C'est un rappel du mandat fort qu'ils ont reçu ensemble.
* Responsabilités de leadership politique : Au-delà des fonctions institutionnelles, c'est aussi une responsabilité de leadership politique. Le Président est le chef de l'État et le garant de la vision politique globale. Sonko lui demande de s'approprier pleinement ce rôle de leader de la "Rupture" et de ne pas laisser la dynamique s'essouffler.
B. Le sens de cette interpellation publique : Pourquoi maintenant et pourquoi ainsi ?
- Pression maximale : Un Premier ministre qui interpelle publiquement son Président de cette manière crée une pression maximale. C'est une stratégie risquée mais qui témoigne d'une grande impatience ou d'une situation perçue comme critique par Sonko.
- Signal fort à l'opinion et à la base : C'est un message clair à l'électorat du PASTEF et à l'opinion publique : "Nous sommes prêts à agir, mais il y a des freins. La balle est dans le camp du Président." Cela peut servir à protéger sa propre image en cas de lenteurs ou d'échecs perçus, en transférant une partie de la responsabilité au Président.
- Révélateur de tensions sous-jacentes : Ce type de déclaration est rarement le fruit du hasard. Elle est très probablement le symptôme de tensions ou de désaccords internes importants qui n'ont pas pu être résolus en coulisses. Il peut s'agir de divergences sur des nominations, des dossiers prioritaires, la gestion de certaines crises, ou l'attitude face à l'opposition/l'ancienne administration.
- Affirmation de la stature de Sonko : En se permettant une telle interpellation publique, Sonko réaffirme sa stature de co-leader du projet et de force politique incontournable, bien au-delà de son rôle de Premier ministre exécutif. Il rappelle qu'il n'est pas un simple subordonné mais un partenaire politique majeur qui exige des actions.
- Danger pour l'unité de l'exécutif : Si cette interpellation est perçue comme un manque de loyauté ou une tentative de dicter la conduite du Président, elle pourrait fragiliser l'unité de l'exécutif et créer des frictions durables au sommet de l'État.
En somme, la phrase "Que le président Diomaye prenne ses responsabilités", dans la bouche du Premier ministre Ousmane Sonko et associée à sa propre frustration ("qu'on me laisse gouverner") et à l'évocation d'un limogeage, n'est pas une simple formule. C'est un appel puissant, une exigence stratégique, et potentiellement un ultimatum adressé au Chef de l'État pour qu'il use de toute son autorité afin de lever les blocages et permettre la pleine mise en œuvre de la "Rupture" pour laquelle ils ont été élus. Cela souligne la complexité de la cohabitation politique et les défis inhérents à la transformation profonde d'un État.
Rare et Audacieux : Un Premier ministre qui s'exprime de la sorte est assez rare dans les démocraties parlementaires ou présidentielles où la ligne de l'exécutif est généralement harmonisée et exprimée d'une seule voix (celle du Président ou du gouvernement uni). C'est un discours de rupture avec les conventions politiques habituelles.
- Leadership Fort : Cela confirme l'image d'Ousmane Sonko comme un leader politique très fort, avec sa propre vision et sa propre base politique, indépendamment de sa fonction gouvernementale. Il n'est pas un simple exécutant.
- Pression et Attentes : Le discours traduit une immense pression pour agir et obtenir des résultats rapides. Il y a un sentiment d'urgence exprimé, face à ce qu'il perçoit comme des blocages.
- Risque de Divulgation : Ce type de discours peut être perçu comme un signe de division au sein de l'exécutif ou, du moins, d'une impatience notable du Premier ministre vis-à-vis du rythme de l'action présidentielle. Cela peut créer une certaine instabilité ou incertitude dans la perception de l'unité au sommet de l'État.
- Stratégie de communication : Ce discours peut être une stratégie délibérée pour mobiliser la base militante, faire pression sur l'administration et les forces d'opposition, et affirmer la détermination du gouvernement à réaliser sa "Rupture", même si cela implique des tensions internes ou des prises de position fortes.
En somme, ce discours révèle un Premier ministre impatient, déterminé, qui ne craint pas d'employer un langage direct pour faire passer un message fort sur la nécessité d'une action gouvernementale résolue et sans entraves. Il souligne les défis d'une "Rupture" qui, pour être effective, doit surmonter des résistances et affirmer une autorité sans concession.
Étant donné la précision que le Premier ministre Ousmane Sonko a dit "qu'on me laisse gouverner", la phrase "Que le président Diomaye prenne ses responsabilités" dans ce contexte acquiert une profondeur et une gravité encore plus marquées.
Dourou Ka
Beauvais France