[Feuilles d’hivernage] Dokhoba: Village mystique de El Hadji Socé Ndiaye, grand érudit, époux et père de Djinns

23 - Août - 2023

Village plein de symboles, Dokhoba, situé à une douzaine de kilomètres de Linguère, est connu pour sa dimension mystique. Cet ardent foyer religieux est fondé vers 1942 par El Hadj Socé Ndiaye, un érudit d’une dimension incommensurable, dont l’une des épouses, un djinn du nom de Maïmouna et ses six enfants, cohabitent en parfaite harmonie avec les héritiers du saint homme. Ses miracles ont, en son temps, émerveillé le Djolof tout entier et même au-delà. Près de trois décennies après la disparition du saint homme qui a marqué son époque, Dokhoba garde encore toute sa part de sacralité, de mysticisme et ses enfants et petit-fils s’emploient à faire rayonner son œuvre.

Par Samba Oumar FALL, Salla GUÈYE (textes)/Ndèye Seyni SAMB (photos)

Dans « Fakastalu », un des tubes de l’album « Sett » sorti en 1990, le musicien sénégalais, Youssou Ndour ,chantait « Guuy gu reuy gii… » (Ce grand baobab, en langue wolof). Le chanteur fait référence à celui situé au cœur du village de Dokhoba (Linguère). Cet arbre renfermerait des secrets mystiques, selon l’artiste planétaire, un habitué des lieux. Mais ce gigantesque baobab, dénommé « Médina », cache mal l’immense forêt de la localité fondée par El Hadj Socé Ndiaye, de son vrai nom, El Hadji Oumar Al Foutyou Tall. Car, dans ce patelin plein d’histoire, il y a six autres baobabs baptisés aux noms de quartiers de la Mecque : Makka, Djidah, Yaman, Hasfan, Tabiha, Mastor. Et dans chacun de ces arbres, vivait un djinn initié à l’enseignement coranique par « Borom Dokhoba ».

Vie et miracles d’un érudit

Fils de Alé Yacine Ndiaye et de Sokhna Meïssa Sall, El Hadj Socé Ndiaye a vu le jour en 1910, à Doundodji. Quand il était dans le ventre de sa mère, alors que ses parents rendirent visite à Seydi El Hadj Malick Sy, à Tivaouane, il a demandé à disposer du wird « Salatul Fatihi ». C’est ainsi qu’il l’a reçu. Selon toujours nos informateurs, une nuit, son père malvoyant lui apprit que le village Ndiayène Parba allait être déserté et qu’il devait l’amener à Doundodji. C’est ainsi qu’il réalise son deuxième miracle. « Au milieu de la nuit, il a porté son père sur le dos sur une distance de 11 à 12 kilomètres. Arrivés au village, son père lui fait savoir qu’il allait rendre l’âme », confie El Hadji Socé Ndiaye, son petit-fils et homonyme.

C’est à l’âge de 12 ans, après la disparition de son père, qu’El Hadji Socé Ndiaye a compris qu’il avait une mission à accomplir sur terre. Il partit alors faire une partie de ses humanités à Ndiossy, chez les Seck. Sa quête du savoir le mènera ensuite à Mbeuleukhé, chez son oncle El Hadji Daouda Dia, qui était également un grand Muqadam de Seydi El Hadji Malick Sy, puis à Keur Socé. Partout, le jeune Socé Ndiaye se distingue par une intelligence au-dessus de la moyenne. L’un de ses plus grands miracles, c’est qu’il avait déjà mentionné, dans un poème, les noms de ses futures quatre épouses et de ses futurs enfants.

Après avoir fait une dizaine de « Daaras », il rentre dans son Djolof natal. Mais avec une parfaite maîtrise du Saint Coran et de la grammaire arabe « Nahwu ». El Hadj Socé Ndiaye, cherchant à être plus proche de son Créateur, et loin des choses mondaines de la vie, décida de fonder Dokhoba.

Il a d’abord fait escale à Kadji, situé à quelques kilomètres. Dans cette localité, il a jeûné 7 ans d’affilée jusqu’au mois d’août 1940. C’est plus tard qu’il a rallié Dokhoba, en 1956. Arrivé à destination, « Borom Dokhoba », conduit par un pigeon, s’est arrêté vers 3h du matin pour prier devant un baobab en pleine pluie. C’est après avoir posé son front sur le sol qu’il a senti la présence d’un serpent et d’un lion. Un signe qui, selon El Hadj Socé Ndiaye, son petit-fils et homonyme, montrait que c’était l’endroit qu’il cherchait. Mais, il devait aménager le site riche de sept baobabs et d’autant de mystérieux terrains.

El Hadj Socé Ndiaye, Muqadam (celui qui confère les oraisons obligatoires et est lui-même sous la responsabilité du khalife) de Seydi Ababacar Sy, a fait beaucoup de miracles jusqu’à se faire respecter dans cette partie du Djolof. « Il fut un cadeau divin pour le Djolof et le Sénégal tout entier », nous dit-on. En effet, en 1966, il est attaqué par des Peulhs, qui lui en voulaient pour avoir étendu le village, mais il est parvenu à les chasser. « Les assaillants avaient ensuite corrompu un proche de mon grand-père pour introduire du poison dans l’unique puits du village en vue d’éliminer tous ses habitants. Finalement, c’est Mame Maïmouna (l’épouse Djinn, ndlr) qui est intervenue », raconte le porte-parole de la famille. Il précise que le vieux El Hadj Socé Ndiaye n’a jamais voulu se vanter d’avoir des liens avec les djinns, un « privilège » qu’il a hérité de la lignée de sa mère.

Mariage avec djinné Maïmouna

Dans la tradition islamique, les djinns sont généralement considérés comme des esprits malveillants. Mais il existe également de bons djinns qui vivent paisiblement parmi les humains dans une dimension parallèle invisible. Il nous revient que Baba Mari Sall, oncle d’El Hadji Socé Ndiaye, avait une épouse nommée Fatoumata Dramé. Ce dernier avait écrit une lettre qui devait être remise à un inconnu près du puits de Kholkhol, réputé site de djinns (‘’Mbulyaama’’, également chanté par Youssou Ndour). Ses propres enfants étant retenus par leurs mères, son neveu El Hadj Socé, alors âgé de 10 ans, avait accepté de s’y rendre. Arrivé sur les lieux, il remit la note. Et quelqu’un lui fait savoir : « dis à ton messager que tu es devenu son digne héritier ». C’est ainsi qu’il a acquis ses pouvoirs mystiques. « Dans la loi des djinns, c’est le cadet qui hérite du trône, en cas de décès, c’est pourquoi mon grand-père a épousé la fille cadette de Baba Mari Sall, qui est djinné Maïmouna. C’est elle qui détenait les secrets mystiques de son père », soutient notre interlocuteur, qui rapporte que djinné Maïmouna a fréquenté sept daaras. Mais c’est à Kadji, lorsqu’il a entamé les 7 années de jeûne, qu’elle a commencé à apparaître physiquement, à en croire toujours M. Ndiaye, qui révèle qu’ils ont 6 enfants. « Il arrivait que mon grand-père m’envoie à Linguère. À l’époque, on marchait. Et en cours de route, on entendait sa voix. Mais cela ne nous a jamais ébranlés », indique-t-il.

Mais comme le village manquait d’eau, El Hadj Socé Ndiaye avait écrit une lettre à Kimitan Ndiaye, ancien chef de canton, à Linguère. Nous sommes en 1957. Mais entre-temps, Nguédeu Diop, entrepreneur originaire de Warkhokh, est venu se plaindre auprès de lui, après avoir été radié par Monsieur Moyen. Mais El Hadj Socé Ndiaye le rassura qu’il sera rappelé, et c’est lui qui devra creuser le puits de Dokhoba. « Il lui a indiqué le lieu et le jour où l’eau sera disponible, lui faisant également savoir qu’il ne sera pas au village ce jour-là », nous raconte-t-on. Six mois plus tard, l’entrepreneur est repris et est affecté à Dokhoba. « Il lui avait dit qu’après avoir creusé le puits de Dokhoba, il sera encore radié, mais qu’il allait le mettre dans une station meilleure. Ce qui se réalisera une semaine plus tard, car c’est le commandant de cercle qui a triplé son salaire pour faire de lui le gardien de sa maison ».

À ce puits que nous avons visité, notre guide raconte que « Borom Dokhoba » a réalisé un autre miracle. En effet, lors de son pèlerinage à la Mecque en 1968, il avait réussi à sauver une de ses épouses, Sokhna Fama Ndiaye. Elle était tombée par inadvertance dans le puits. Avant même qu’elle ne touche l’eau, le saint homme l’avait interceptée et sauvée d’une mort certaine. « Ma grand-mère m’a même raconté qu’elle a vu mon grand-père avec son boubou qu’elle reconnaissait en train de la sauver avec sa main, alors qu’il était à la Mecque », se rappelle M. Ndiaye.

Communion avec djinné Maïmouna et ses enfants

Autre fait miraculeux ; un jour, en début d’hivernage, une forte pluie a arrosé le Djolof. Malgré cela, El Hadj Socé Ndiaye n’est pas allé aux champs pour semer. Intrigué, Bouna Alboury Ndiaye est venu lui en demander les raisons. Et il lui rétorqua qu’il ne pleuvra que 40 jours plus tard et que tous ceux qui avaient semé allaient perdre leurs graines. Il est retourné et s’est finalement rendu compte qu’il n’avait effectivement pas plu. « C’est ce qui, plus tard, a consolidé leurs relations fraternelles », nous dit-on.

Le saint homme ne s’est pas limité au Djolof. Selon des informations, il a effectué une tournée dans le Saloum, notamment à Keur Ngaye, Dawadji, près de Sinthiou Malem, puis à Koulagna, entre autres, pour vulgariser l’Islam et les enseignements prophétiques. Mais, il est retourné à Dokhoba, en 1989, pour poursuivre la mission.

El Hadji Socé Ndiaye s’est éteint le 14 mai 1994. « Souffrant, il ne voulait même pas se rendre à l’hôpital, mais avec l’insistance de Serigne Abdoul Aziz Sy Dabakh, il a finalement accepté d’être interné dans une clinique à Dakar. Il rendra l’âme une semaine après son hospitalisation. Il est enterré non loin de la mosquée ainsi que plusieurs de ses épouses.

Toutefois, malgré la disparition du vieux, djinné Maïmouna et ses six enfants sont toujours présents dans le village, à en croire son petit-fils, El Hadj Socé Ndiaye. « Cela prouve tout simplement qu’ils ne s’étaient pas liés pour la vie », se réjouit-il. Sa case, située à la périphérie du village, est un lieu de pèlerinage incontournable, de recueillement. « Je les vois et je communie avec eux. Je les connais comme tous les membres de ma famille », insiste M. Ndiaye, qui dit avoir commencé à parler avec des Djinn depuis l’âge de 6 ans. « Au début, je croyais qu’ils étaient des humains comme nous, mais c’est après que je me suis rendu compte que c’étaient des djinns », ajoute notre guide, qui a grandi sous l’aile de son grand-père, « Borom Dokhoba », qui l’a également éduqué et lui a appris le saint Coran.

Le legs d’El Hadj Socé Ndiaye perpétué

Rappelé à Dieu en 1994, son fils, El Hadj Naar Ndiaye le remplace au khalifat. Ce dernier a, jusqu’à sa disparition en 2016, œuvré pour le rayonnement des œuvres de son père. Depuis cette date, El Hadj Ndiaga Meïssa Ndiaye assure la charge de khalife de Dokhoba. Son père a laissé derrière lui plus de 200 « xassidas » (poèmes) qu’il a écrits durant sa vie. Ce, en plus d’autres éléments sonores (cassettes) où il vulgarise des enseignements sur la vie.

Dokhoba, cette petite bourgade de sept maisons, demeure aujourd’hui un lieu de pèlerinage. Le porte-parole de la famille rapporte que l’ancien Président Léopold Sédar Senghor est venu à Dokhoba. Son hélicoptère avait atterri à Linguère et il a pris un cheval blanc de Maguette Lô (parrain de l’actuel hôpital de Linguère) pour rallier le village. D’autres grandes personnalités comme Youssou Ndour, Moustapha Niasse, feu El Hadj Ndiaga Ndiaye (transporteur, dont les cars portent le nom) ont élégamment fait le déplacement dans ce village plein de symboles. Il nous revient que des érudits de l’Islam comme Mame Thierno Mansour Barro, Serigne Abdou Lahad Mbacké, entre autres, connaissent Dokhoba.

Aujourd’hui, pour perpétuer l’œuvre d’El Hadj Socé, un grand ziarra est organisé chaque année, à la veille du Gamou annuel de Tivaouane, par ses fils et petits-fils, dont El Hadji Ousmane Socé Ndiaye, actuel chef du village de Dokhoba. Aujourd’hui, El Hadj Socé Ndiaye, qui a déjà entamé des travaux de réfection de tous les sites, a un objectif : écrire un livre pour mieux faire connaître son grand-père.

lesoleil.sn

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