Par-delà les collines boisées de Betton, aux portes de Rennes, vit un musicien aux racines profondes et aux ailes déployées. Boubacar Kafando, artiste burkinabé, sculpte les sons comme on sculpte la terre rouge de son pays natal : avec patience, passion et respect. Leader du groupe Afro Tala, facteur d’instruments, passeur de mémoire dans les écoles rennaises, bâtisseur d’un centre culturel au Burkina Faso, il incarne une forme rare de poésie incarnée. Rencontre avec un homme debout. C’est dans le terreau vivant du Burkina Faso que germe la musique de Boubacar Kafando. Chez lui, le balafon n’est pas un simple instrument, mais un ancêtre que l’on honore. Le n’goni, un confident ; la kora, un chemin vers l’invisible. Dès l’enfance, Boubacar apprend à écouter les silences entre les notes, à comprendre que la musique n’est pas un divertissement, mais une manière d’habiter le monde, de dialoguer avec les esprits, de soigner les âmes. Il grandit entouré de griots, de forgerons et de conteurs. Les tambours ne résonnent pas seulement pour danser, mais pour guérir, transmettre, avertir. Très tôt, Boubacar comprend que la musique porte en elle une responsabilité. L’association Zaama-Nooma En 2007, après quelques années en France, il fonde l’association Zaama-Nooma, littéralement « la bonne entente entre les êtres ». Une manière de maintenir un pont vivant entre Betton et son village d’origine, tout en favorisant l’accès à l’art et à la culture pour les enfants du Burkina Faso. Le centre qu’il crée sur place devient un lieu de rencontres, de créations, de transmission. Là-bas, les jeunes découvrent les percussions, la danse, le théâtre , une forme d’éducation populaire nourrie de tradition et d’ouverture. Cette volonté de transmettre, il l’incarne aussi en Bretagne. À Rennes et dans les communes voisines, il intervient régulièrement dans les écoles, les collèges, les MJC. Il n’arrive jamais les mains vides : ses instruments, il les fabrique lui-même. Chaque calebasse, chaque corde, chaque peau tendue est le fruit d’un savoir-faire ancestral mêlé à une créativité libre. En 2010, il grave son premier album sous le nom Zaama-Nooma Band. Un disque aux sonorités brutes et vibrantes, enregistré avec des instruments traditionnels. Une œuvre presque introuvable aujourd’hui, mais qui contient déjà l’essence de sa démarche : “Une des chansons s’appelle Madi Zounoogo, le prénom de mon père et de mon fils. L’idée de cette création tournait autour du fait que sur cette planète, l’humain vit toujours grâce à son prochain.” Des influences européennes À travers ce chant filial, Boubacar dit l’interdépendance humaine. Rien d’abstrait ici. Sa musique est terrienne, enracinée, mais elle regarde loin, vers l’autre, vers l’ailleurs. Son deuxième album, sorti en 2016 et intitulé Faut pas se diviser, marque un tournant. Il y intègre des influences européennes et réarrange Madi Zounoogo. Le monde y entre, sans écraser l’âme africaine. À New York, il croise le chemin de Jayen Varna, un bassiste d’origine indienne, “le meilleur que j’aie jamais vu”. Ce type de rencontres dessine le nouveau visage d’une musique métisse, universelle sans être édulcorée. Aujourd’hui, Boubacar est le leader du groupe Afro Tala, une formation vivante où les rythmes ouest-africains dialoguent avec le jazz, la funk ou les harmonies européennes. Sur scène, il ne joue pas, il vibre. Ses concerts sont des cérémonies sans dogme, des appels à l’unité. À travers Afro Tala, il réaffirme ce qui est au cœur de son engagement artistique : rassembler. Dans un monde marqué par les replis identitaires, il affirme avec douceur et force que les cultures ne s’opposent pas, elles s’enrichissent. Il n’y a rien d’artificiel dans le parcours de Boubacar Kafando. Rien d’arrivé trop vite, ni d’imité. Il est de ces hommes rares dont l’œuvre est le reflet fidèle de l’âme. Artisan, pédagogue, musicien, poète, il tisse patiemment, depuis Betton, une tapisserie aux couleurs du monde. Son engagement pour la culture n’est pas un luxe, mais une nécessité. Sa musique n’est pas un produit, mais une offrande. Et son parcours, tout sauf linéaire, dessine ce que pourrait être l’art dans une société juste : un lieu de mémoire, de lien et de renaissance. À Betton comme à Ouagadougou, la même vibration traverse ses gestes : celle d’un homme qui croit encore que l’art peut réparer, rassembler, éclairer. Et c’est peut-être pour cela que sa musique touche autant : parce qu’elle est sincère, enracinée, et qu’elle parle à ce qu’il y a de plus vivant en nous.
Malick Sakho
Bravo Boubacar ❤️